PremièreLes parents d’une ado harcelée contre Tiktok pour « provocation au suicide »

Harcèlement scolaire : Provocation au suicide, faible modération… Des parents endeuillés s’attaquent à TikTok

PremièreUtilisatrice régulière de TikTok, Marie, 15 ans, s’est suicidée en 2021 après avoir été harcelée. Ses parents reprochent à la plateforme son manque de modération et ont décidé de porter plainte. Une première en France
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • En 2021, Marie, une lycéenne âgée de 15 ans, s’est suicidée après avoir été victime de harcèlement scolaire.
  • L’adolescente avait publié des vidéos faisant état de son mal-être sur TikTok, entraînant l’algorithme à lui proposer du contenu du même genre.
  • Deux ans après le drame, les parents portent plainte contre le réseau social, « notamment pour provocation au suicide ». Laure Boutron-Marmion, avocate des parents de Marie, précise sa démarche.

Deux anonymes endeuillés face à un mastodonte en pleine croissance. Deux ans après le suicide de leur fille Marie, âgée de 15 ans, ses parents, Stéphanie et Charles, ont décidé d’attaquer en justice Tiktok. L’adolescente, utilisatrice régulière de ce réseau social plébiscité par les (très) jeunes, avait évoqué dans des vidéos le harcèlement scolaire dont elle était victime. Mais après avoir digéré son contenu, l’application l’a abreuvée de contenus sensibles - sur la dépression, le suicide, le mal-être - ce qui, aux yeux de ses proches, a aggravé son état.

Raison pour laquelle, le 8 septembre dernier, ils ont porté plainte contre le géant chinois pour « provocation au suicide », « non-assistance à personne en péril » et « propagande ou publicité des moyens de se donner la mort ». C’est la première fois en France qu’une telle procédure est intentée à l’égard de TikTok.

« Un tas de vidéos circulent sur le suicide »

« Quelques semaines avant le drame, elle était de plus en plus mal, et elle a publié des vidéos inquiétantes sur son état, précise Me Laure Boutron-Marmion, avocate des parents de Marie, spécialisée dans la défense des mineurs, qui intervient notamment sur le harcèlement scolaire. Or, ses vidéos n’ont pas été supprimées comme d’ailleurs un tas d’autres sur le suicide qui circulent sur Tiktok».

En clair, l’avocate reproche à la plateforme de ne pas mettre en place de garde-fous pour contenir les méthodes de l’algorithme. « On pourrait imaginer des alertes, une réaction, prévenir le responsable légal. Ce que fait l’utilisateur sur la plateforme est analysé par l’algorithme qui,en retour, lui envoie du contenu similaire. Dans la situation de Marie qui était déjà extrêmement fragile à cause du harcèlement qu’elle subissait et qui exprimait sur le réseau social son envie d’en finir, ça ne pouvait que l’encourager dans cette issue », poursuit la conseil.

Une autre plainte déposée en 2022 à l’encontre de l’établissement scolaire

Comme toute démarche pionnière, l’avocate avance vers l’inconnu. Elle pourra cependant se raccrocher à un précédent, au Royaume-Uni. En 2022, la justice anglaise a reconnu la responsabilité de Meta et Pinterest dans le suicide de Molly, 14 ans. Leur tort ? Avoir exposé la jeune fille à des « contenus négatifs ». L’adolescente avait notamment regardé plus de 130 vidéos sur le suicide avant son passage à l’acte.

Mais en la matière, le changement pourrait également venir du droit. Depuis le 25 août dernier et l’entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA), « la législation européenne contraint les grosses plateformes à être plus transparentes et plus attentives aux contenus sensibles », rappelle Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé en droit du numérique et des réseaux sociaux. Il exige de mieux modérer l’algorithme sur des contenus sensibles, sous peine de sanction financière ». Selon lui, l’initiative de sa consœur, la première sur le plan pénal, « a le mérite de porter cette problématique pour sensibiliser l’opinion et faire réagir les plateformes. »

Même si cette plainte est d’abord motivée par le seul cas de Marie, Laure Boutron-Marmion se réjouit à l’idée qu’elle puisse profiter « au collectif », d’autant que le gouvernement a fait du harcèlement scolaire l’un de ses chantiers prioritaires. « Le harcèlement sur Marie existait avant, mais ce qu’on reproche à TikTok, c’est d’être entré dans la partie et d’avoir aggravé la situation », précise l’avocate. Les parents de l’adolescente ont d’ailleurs entamé une action judiciaire en avril 2022 contre l’établissement dans laquelle était scolarisé Marie. Un juge d’instruction toulonnais a été saisi pour traiter l’affaire.