économie« Une histoire de fous »… Leur patron déserte, ils continuent à venir

Alsace : « Une histoire de fous »… Leur patron déserte, ils continuent à venir travailler

économieLe gérant d’un restaurant de Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace, a tout plaqué début août. Sans prévenir ses salariés, qui continuent à faire acte de présence en attente de la liquidation judiciaire
Thibaut Gagnepain

Thibaut Gagnepain

L'essentiel

  • Depuis le 9 août, le gérant d’un restaurant de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin) s’est volatilisé. Il a depuis été contrôlé dans le sud de la France.
  • Il a laissé son établissement et surtout ses salariés dans l’embarras. Ces derniers continuent à faire acte de présence afin de préserver leurs droits.
  • « Si on ne vient plus, ce sera considéré comme des abandons de poste, nous a dit l’inspection du travail », précise Ludovic. « On n’aura plus aucune chance de récupérer tout ce qu’il nous doit. »

Des frigos vides, des chaises retournées sur les tables… et des salariés qui jouent aux cartes ou discutent ! Bienvenue au restaurant « Les Reflets du Val d’Argent », situé dans le camping éponyme de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). Depuis un peu plus d’un mois, l’établissement est le théâtre d’une situation ubuesque. Depuis que le gérant, un certain Patrice P., s’est volatilisé le 9 août.

« Il m’avait appelé le matin pour me demander d’ouvrir parce qu’il avait un empêchement », se souvient Yaël, l’une des quatre employés. « Je l’ai encore eu deux fois ensuite », complète son collègue Ludovic. « Il me disait d’abord qu’il allait aux urgences à Colmar car il vomissait du sang. Puis à Strasbourg. Ensuite j’ai reçu un message où il était écrit qu’il serait placé dans le coma pendant douze heures. Et plus rien ! »

La salle du restaurant, vide de clients évidemment.
La salle du restaurant, vide de clients évidemment. - T. Gagnepain

L’intéressé n’a plus jamais répondu aux appels ni donné de nouvelles. Disparu ? Décédé ? Visiblement, aucun de ses scénarios macabres n’est valable. Le quinquagénaire est vivant… et loin de tout ça. « On a appelé les gendarmes le soir même car on était inquiet et après vérification, ils nous ont dit que son téléphone avait borné à Valence, Montélimar puis Montpellier ! Il était donc sur la route », reprend Yaël.

Des informations que ne confirment pas les militaires… Sans nier que le gérant a bien été contrôlé dans le « sud-est de la France ». Il aurait même indiqué à un de leurs collègues « prendre du bon temps » ! De quoi lever la suspicion de « disparition inquiétante » et donc les recherches.

Pour ne pas perdre leurs droits

Reste le restaurant, où les salariés pointent donc toujours à leurs horaires habituels de travail. Pas pour servir le moindre client, impossible puisqu’il n’y a plus de quoi cuisiner, mais pour ne pas perdre leurs droits. « Si on ne vient plus, ce sera considéré comme des abandons de poste, nous a dit l’inspection du travail », précise Ludovic. « On n’aura plus aucune chance de récupérer tout ce qu’il nous doit. »

Notamment leur salaire du mois de juillet, non payé pour la moitié d’entre eux. Sans parler des congés payés, des éventuelles indemnités de licenciement, etc. « Ça peut faire une sacrée somme à l’arrivée », poursuit le cuisinier, sans se complaire de la situation. Loin de là. Avec ses collègues, ils espèrent trouver une solution le plus rapidement possible et sonnent à toutes les portes.

Le procureur de la République a ainsi été sollicité afin qu’une liquidation judiciaire soit mise en place. « Il nous a parlé de deux mois au minimum… » Un avocat a également été consulté, sans être lancé sur l’affaire pour le moment. « C’est cher et on doit avancer les frais. Mais avec quel argent ? », peste Olivier, qui avait été embauché en mars dernier. Dans une affaire qui tournait alors bien. Il n’y a qu’à regarder les nombreux avis sur Internet pour le confirmer.

Le restaurant « Les Reflets du Val d'Argent », situé à l'entrée du camping éponyme à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin).
Le restaurant « Les Reflets du Val d'Argent », situé à l'entrée du camping éponyme à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). - T. Gagnepain

« Il était très bon en cuisine et savait tout faire », se rappelle le propriétaire du camping Roland Quincieu, qui avait conclu un bail de location-gérance en 2019 avec le fameux Patrice. Sans, depuis, connaître de soucis majeurs avec lui. Ses employés décrivent, eux, un patron à la motivation fluctuante ces derniers mois. Pas en tout cas comparable à son entrain pour se resservir à la tireuse à bière…

« Mais on ne se doutait de rien, on ne pouvait pas imaginer ça », insistent-ils. « On voyait juste qu’il déclinait et que peut-être, il nous dirait que ce serait terminé à la fin de la saison. » L’aventure s’est donc arrêtée, malgré eux, plus tôt, et les salariés ne veulent aujourd’hui surtout pas revoir leur patron. Ils aimeraient simplement tourner la page, comme le propriétaire du camping à qui la situation porte aussi « préjudice ».

« C’est une histoire de fous, on est tous prisonniers », lance ce dernier, qui fait venir des food-trucks pour pallier la situation. « Mais ce n’est pas pareil et avec ce qu’il se passe, je ne vais pas retrouver un repreneur tout de suite. Il faut que des décisions soient prises maintenant. » Les factures non réglées s’accumulant, l’électricité devrait bientôt être coupée au restaurant. De quoi compliquer un peu plus le quotidien des employés, qui gardent un sourire de circonstance jusque-là. « Il vaut mieux en rire qu’en pleurer », assure Olivier. « Mais les gens ne peuvent pas imaginer : c’est épuisant, ce qu’on vit. »