Discriminations : Le « name and shame », un levier efficace ou producteur de bad buzz sans lendemain ?
la honte•Un nom d’entreprise, Leroy Merlin, publié au Journal officiel pour avoir discriminé un couple de salariés gay : c’est le « name and shame », levier activé par la Défenseure des droits. Cette méthode est-elle vraiment efficace ?Octave Odola
L'essentiel
- L’entreprise Leroy Merlin s’est rendue coupable d’une discrimination relative à une situation de famille. Des agissements dénoncés par la Défenseure des droits.
- En vertu de la loi, l’autorité administrative a pratiqué le « name and shame » à l’égard du groupe, qui dément les accusations et n’a pas suivi les injonctions.
- Cette pratique est-elle efficace pour lutter contre les discriminations ? Jean-François Amadieu, professeur à la Sorbonne et dirigeant de l’Observatoire des discriminations, et Dominique Sopo, président de SOS Racisme, apportent leurs éclairages.
Douze mentions de l’entreprise au sommaire du « quotidien » de la République française. Dans le Journal officiel en date du 12 septembre, Leroy Merlin a subi un « name and shame », comprendre « nommer et couvrir de honte ». La célèbre enseigne de bricolage est soupçonnée d’avoir pratiqué une discrimination à l’encontre de deux salariés homosexuels en couple. La Défenseure des droits Claire Hédon a décidé d’activer ce mécanisme pour la troisième fois depuis sa nomination afin de faire réagir le groupe, qui n’a pas respecté ses injonctions et conteste les accusations.
« C’est la mesure la plus aboutie » dans l’arsenal de la Défenseure des droits, commente l’autorité administrative contactée par 20 Minutes, qui rappelle qu’elle ne dispose pas de pouvoir de contrainte. Face à un lourd sujet de société, cette pratique du « name and shame » peut-elle être efficace pour pousser les grands groupes à changer de comportement ?
Un outil suffisant face aux grosses machines de communication ?
« On peut se remémorer un précédent très intéressant, convoque Jean-François Amadieu, professeur à la Sorbonne et dirigeant de l’Observatoire des discriminations. Des grands groupes dont l’hôtelier Accor ont été accusés par l’Etat (en 2020) de discrimination à l’embauche et cités. Ça n’avait pas eu d’effets sur la modification de la pratique. »
Pour appuyer son propos, le spécialiste opère un parallèle avec la consommation. « Quand vous dites : "la pizza n’est pas bonne", peut-être que le consommateur pourra se détourner du produit, pour les cas de discrimination c’est moins évident ». Face à de grandes entreprises bien implantées et puissantes économiquement, cette pratique du « name and shame » peut parfois paraître peu proportionnée. « Le name and shame ne peut pas être l’unique solution face à des entreprises qui ont de grosses capacités de communication, analyse Dominique Sopo, président de SOS Racisme. S’il n’y a pas de politiques publiques contraignantes avec des peines importantes, le risque, c’est que cette pratique crée au mieux un buzz sans lendemain. »
L’exécutif doit pouvoir faire plus
Pour nos experts, le manque d’efficacité de la méthode s’explique aussi par l’origine et la culture de la pratique. Utilisé depuis le 19e siècle dans les pays anglo-saxons, le « name and shame » est aussi couplé par le boycott, une « arme très vivace » aux Etats-Unis. En comparaison, l’appel au boycott de Vertbaudet lancée par la cheffe de file de la CGT Sophie Binet est tombé à plat. « L’autre pratique, c’est de taper au portefeuille, notamment avec le mécanisme des class actions, complète Jean-François Amadieu. En France, il n’y a pas de risques financiers pour les firmes. Une fois la discrimination constatée, vous obtenez quoi ? Quels sont les dommages et intérêts. Si ce n’est que des queues de cerise… ».
Comme la Défenseure des droits il y a deux jours, le gouvernement s’est aussi essayé à la pratique, en 2020 avec Accor concernant les discriminations, mais aussi plus récemment face aux industriels de l’agroalimentaire afin de les contraindre à baisser leurs marges. Avec SOS Racisme, Dominique Sopo use de la pratique, en prouvant notamment les discriminations raciales opérées par les agences immobilières. « Nous, on fait du "name and shame" mais l’exécutif ne peut pas se contenter de ça. Ils ont la capacité de mettre en place des politiques publiques, de produire de la norme », avant de rappeler qu’en 2021, aucune condamnation sur le plan pénal n’a été prononcée pour discrimination raciale.
Sans passer par la case judiciarisation, le militant propose deux pistes : « Des formations robustes, adaptées et obligatoires » et « une exclusion temporaire des marchés publics » pour les groupes pris en flagrant délit de discrimination. « Ce serait une sanction pas négligeable pour tout un tas de secteurs », prévient Dominique Sopo.
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