La démocratie, un régime de « boomer » ?

De moins en moins plébiscitée par les jeunes, la démocratie est-elle en danger ?

« OK BOOMER »Selon une étude mondiale de la fondation Soros, les jeunes sont de moins en moins attachés au régime démocratique
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Selon une étude mondiale de la fondation Soros, 57 % des 18-35 ans estiment que la démocratie est préférable à une dictature, contre 71 % chez les plus de 56 ans.
  • De quoi interroger sur un certain détachement de la jeune génération face à ce régime qualifié de « moins mauvais de tous les systèmes » par Churchill.
  • Ces chiffres confirment en effet une tendance qui s’observe depuis plusieurs années en France et ailleurs, selon plusieurs experts interrogés par 20 Minutes.

Les jeunes sont l’avenir, et l’avenir pourrait s’assombrir. Une étude de la fondation Soros publiée lundi met en avant un certain détachement des jeunes du monde pour la démocratie et une attirance vers des régimes militaires, voire dictatoriaux. De quoi donner des sueurs froides à Solon, considéré comme le père de la démocratie.

Mais les jeunes veulent-ils vraiment vivre sous un régime autoritaire ou expriment-ils une déception face au « moins mauvais de tous les systèmes », comme disait Churchill ?

Un phénomène de « déconsolidation démocratique »

Si les plus de 56 ans sont 71 % à estimer que ce régime est préférable à une dictature, seuls 57 % des 18-35 ans partagent cet avis, selon cette étude réalisée sur 36.000 personnes interrogées dans 30 pays. Pire encore, ils sont 35 % à se dire pour un leader fort sans parlement ni élection et 42 % prêts à essayer un système militaire. « Ce n’est pas une surprise », estime Michel Wieviorka, sociologue selon lequel, en France par exemple, « le meilleur "barrage" au RN, c’est le vote des personnes âgées ». En 2022, ils étaient 18 % à voter pour la Marine Le Pen. Mais généralement, il y a un « attachement moins important à la démocratie représentative, les jeunes vont moins voter et ne s’intéressent pas autant à la politique », ajoute également Camille Bedock, chercheuse en sciences politiques au CNRS. En effet, lors du second tour de la dernière présidentielle, 41 % des 18-24 ans ne sont pas allés voter.

Plus globalement, c’est une tendance qui ne s’observe pas seulement en France, mais plus largement et depuis plusieurs années. « Ces résultats confirment plusieurs enquêtes déjà publiées, depuis un certain temps on observe un phénomène de déconsolidation démocratique dans les nouvelles générations », développe à son tour Anne Muxel, directrice de recherche au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences po). Même si ce constat n’est pas toujours facile à expliquer, plusieurs facteurs rentrent en compte, notamment un « désenchantement démocratique », ajoute-t-elle.

Des promesses non tenues

Les jeunes d’aujourd’hui en effet ont grandi et se sont politisés dans une ère où les crises se multiplient. Qu’il s’agisse de la détresse climatique, l’effondrement économique, l’essor technologique, la crise sanitaire, la menace terroriste ou la géopolitique déréglée qui « se renforcent mutuellement à un degré jamais atteint auparavant », souligne l’étude de la fondation. Face à ce déluge de bouleversements, « la démocratie ne répond pas à tous les problèmes », relève Michel Wieviorka, et notamment à leurs préoccupations principales, à savoir l’environnement et la lutte contre la corruption. « Il y a donc une sorte de déception vis-à-vis d’un discours très positif sur la démocratie », complète-t-il. L’impression que ce régime n’apporte rien. D’autant que les idéaux promis par la démocratie, tels que la liberté d’expression, le respect des droits humains, le pluralisme, la représentation du peuple, supposent une réelle exigence pour être bien appliqués. Ils peuvent être ébranlés par les crises successives.

Par ailleurs, la démocratie est le berceau de ces jeunes qui n’ont rien connu d’autre pour la plupart, c’est donc moins une volonté de vouloir passer sous un régime nord-coréen qu’un désir de changement qui anime la jeunesse du monde. Essayer quelque chose de nouveau « pour mieux manger, avoir un emploi, tout ce que la démocratie ne nous apporte pas toujours », interprète Michel Wieviorka. Cela traduit également « l’attractivité de certains leaders ou certaines formules populistes autoritaires, qui enregistrent davantage de résultats électoraux chez les jeunes », pousse Anne Muxel. Car l’autorité régalienne peut aussi avoir un côté « rassurant » face au déluge de crises que la génération rencontre, ajoute la directrice de recherche.

Un régime vieillissant

A cela, s’ajoute une crise de défiance dans les institutions politiques, médiatiques. Les jeunes ne se sentent plus représentés par leurs élus. « Forcément, ça dysfonctionne », tranche Anne Muxel. « Alors comment faire en sorte que les jeunes fassent confiance à la démocratie ? », s’interroge alors Michel Wieviorka. Peut-être en trouvant de nouvelles formes de vie politique, en réinventant le régime vers une démocratie participative, trouver une nouvelle formule, continuer à évoluer sans se reposer sur un régime dessiné par le vieux monde. « Il faudrait que le système politique se rajeunisse, soit davantage en phase avec ce qui est tendu vers l’avenir », estime encore le sociologue.

« Si la démocratie ne se renouvelle pas dans ses institutions, dans ses formes, il y aura de plus en plus de désintérêt », prévient Michel Wieviorka. Et la démocratie est un régime fragile, tout le temps en danger, qui tremble aujourd’hui sous les secousses d’un cocktail explosif. « Alors si les jeunes laissent de plus en plus les autres générations exprimer leur vote, leur voix, à leur place, ils se sentiront de plus en plus désavoués et tourneront encore plus le dos à la démocratie », anticipe Camille Bedock. Un cercle vicieux qui risque de mal se terminer.