Retour d’une légende urbaine mêlant enlèvements et trafic d’organes
Fake off•Sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, les vidéos alarmantes dénonçant des tentatives d’enlèvement à des fins de prélèvement d’organes se multiplient. Entre rumeurs et légendes urbaines, ces pseudo-témoignages n’ont aucun fondement
Mikaël Libert
L'essentiel
- De nouvelles vidéos circulent sur les réseaux sociaux alertant sur des tentatives d’enlèvements en France par des femmes réclamant l’achat de lait pour leur bébé.
- Ce type de vidéo revient régulièrement sur le devant de la scène des réseaux, comme ce fut le cas en 2019 puis en 2022.
- Ce mode opératoire de trafiquants d’organes supposés agissant en France est du domaine de la légende urbaine pour les autorités, aucun fait n’ayant été relevé.
Il y a des fake news que l’on ne se donne même plus la peine de dénoncer tant elles défient le sens commun : la terre est plate, les oranges contaminées au VIH, les aventures d’internautes en 2054… D’autres tirent leur force d’une teinte de vraisemblance, simplement parce que les faits qu’elles exposent sont effectivement arrivés, du moins en partie. C’est le cas de cette rumeur circulant sur les réseaux sociaux, affirmant qu’en France, des femmes avec des enfants piègent les bonnes âmes pour les jeter en pâture à des trafiquants d’organes.
Vendredi dernier, sur TikTok, un internaute lillois a publié une vidéo intitulée « l’attaque au lait ». Vue par plus de 300.000 utilisateurs du réseau, cette vidéo explique qu’en gare de Lille, une femme a échappé de peu à un enlèvement fomenté par un couple de Roumains. L’auteur de la vidéo décrit la technique : une femme demande à une passante de lui acheter du lait pour son bébé qui a faim. Si la personne accepte, elle la guide prétendument vers un magasin alors que, sur le chemin, des complices attendent pour la kidnapper. Si, dans cette vidéo, il n’est pas question de trafic d’organes, bien d’autres affirment que le stratagème est monté à ces fins.
« J’ai entendu des chauffeurs discuter de cela »
Une première vague de vidéos propageant cette rumeur a été observée en 2022. Marseille, Lyon, Lille, Roubaix, etc. Si l’on en croit les auteurs, qui se présentent parfois comme des victimes ayant échappé au drame, la France entière est concernée. Et tous s’assurent une viralité optimale en utilisant des hashtags racoleurs tels que #traficdorgane, #bebe, #enlèvement. L’histoire, elle, est sensiblement la même : une ou plusieurs bandes organisées procéderaient ainsi à des rapts, souvent dans les gares, afin de délester leurs victimes de leurs organes, revendus sur le marché noir. « J’ai entendu des chauffeurs discuter de cela chez un client et j’ai décidé d’en faire une vidéo », déclare à 20 Minutes l’auteur de la vidéo postée vendredi. Pour lui, sa source est fiable. Avant de nous bloquer, il enchaîne en assurant que « cette technique est courante un peu partout à en croire les commentaires ».
A ce jour, rien ne permet d’étayer de quelque manière que ce soit les affirmations de ces vidéos. Déjà, en 2022, la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de Marseille avait été contrainte de démentir cette « fake news » qui commençait à prendre de l’ampleur. Contacté par 20 Minutes, le service d’information et de communication de la police nationale (sicop) n’a jamais recensé aucun fait de la sorte. « Nous n’avons rien à communiquer là-dessus puisque cela n’existe pas », assure un porte-parole. Pour la police, cela relève de la « légende urbaine », au même titre, en son temps, que les rumeurs sur la « traite des blanches ».
Un business international et très lucratif
Les dénégations des autorités ne concernent cependant que le territoire national. Parce que, hélas, les affaires de trafic d’organes existent bel et bien, et ce business lucratif se fait à l’échelle industrielle. En effet, selon un rapport d’Interpol, publié en 2021, l’Afrique du Nord et de l’Ouest sont d’ailleurs le terrain d’action de bandes organisées pratiquant la traite des êtres humains, notamment aux fins de prélèvement d’organes. « À l’échelle mondiale, lorsqu’il n’est pas possible de répondre à la demande d’organes au moyen de pratiques de transplantation éthiques, l’approvisionnement s’effectue souvent grâce à des organes obtenus illégalement. Cela signifie qu’ils ont été achetés auprès d’individus dont les organes ont été prélevés sous la contrainte », décrit le rapport.
Interpol déplore même un essor du « tourisme médical » qui semble « lié à la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes ». Et les chiffres montrent l’étendue du trafic, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimant que « 5 à 10 % des greffes d’organes réalisées dans le monde résultent du trafic d’organes, soit environ 15.000 greffes par an ». Toujours en 2021, un rapport de l’Assemblée nationale citait un document du United Nations Office on Drugs and Crime qui estimait à 600 millions de dollars par an les profits liés au trafic d’organes.