Maintien de l’ordre : Mais qu’est venu faire le Raid dans cette galère ?
enquete•Plusieurs membres de l’unité d’intervention, qui a été mobilisée durant les émeutes, sont suspectés d’avoir causé la mort d’un homme et d’en avoir gravement blessé d’autresThibaut Chevillard
L'essentiel
- Unité d’intervention de la police nationale, le Raid a été mobilisé pour rétablir l’ordre lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel à Nanterre, fin juin.
- Les membres de cette unité sont pourtant, dans leurs missions, plus habitués à affronter des terroristes que des émeutiers.
- Plusieurs d’entre eux sont suspectés d’avoir causé la mort d’un homme et d’en avoir gravement blessé d’autres lors de leurs interventions.
Unité d’élite de la police, le Raid n’a pas souvent l’habitude d’être sous le feu des critiques. Chargés de lutter contre le terrorisme ou le grand banditisme, ses membres se sont, à plusieurs reprises dans le passé, illustrés lors d’interventions périlleuses. Mais lorsque des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes de France après la mort de Nahel, 17 ans, en juin dernier, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a décidé de mobiliser les unités d’intervention de la police et de la gendarmerie nationales pour rétablir l’ordre. Le calme est revenu. Mais à quel prix ? Voilà que plusieurs policiers du Raid sont mis en cause dans plusieurs affaires pour de graves violences causées au moment de cet épisode de violences urbaines.
Dans la nuit du 29 au 30 juin, un homme de 25 ans a été très gravement blessé à la tête, à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), alors qu’il rentrait du travail en voiture. Selon ses proches, Aimène Bahouh aurait été touché par un « bean bag », une munition anti émeute, tirée par le Raid. Le parquet du Val-de-Briey, qui avait ouvert une enquête pour « violences avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique », confiée à l’IGPN, s’est depuis dessaisi au profit de celui de Nancy, et une information judiciaire a été ouverte.
« Le Raid ne fait pas du maintien de l’ordre »
A Marseille, trois policiers de l’unité d’intervention ont été mis en examen, le 10 août, pour « violences avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et placés sous contrôle judiciaire. Ils sont soupçonnés d’avoir tiré avec un LBD, début juillet, sur un homme qui circulait à scooter alors que le centre de la cité phocéenne était en proie à des dégradations et pillages. Touchée à deux reprises, dont une fois au thorax, la victime, Mohamed Bendriss, est décédée des suites de ses blessures. La veille, son cousin, Abdelkarim Y., 22 ans, a perdu l’usage d’un œil après avoir été touché par un tir de LBD. Selon son avocat, Me Arié Alimi, le projectile aurait été tiré, là encore, par des policiers du Raid.
Au regard du nombre d’affaires dans lesquelles ils sont mis en cause, la question se pose : était-ce vraiment une bonne idée de déployer les membres de cette unité, plus habitués à affronter des terroristes que des émeutiers, pour rétablir l’ordre dans les rues ? La loi, en tout cas, le permet. L’arrêté du 5 janvier 2011 précise que le Raid est chargé « d’intervenir à l’occasion de troubles graves à l’ordre public nécessitant l’utilisation de techniques et de moyens spécifiques ». « Le Raid ne fait pas du maintien de l’ordre, contrairement aux services spécialisés comme les CRS, les gendarmes mobiles, ou des unités de sécurité publique, qui eux sont équipés et ont des stratégies », explique à 20 Minutes Jean-Michel Fauvergue, qui a dirigé le Raid de 2013 à 2017. En revanche, ajoute-t-il, ses membres peuvent « intervenir en appui d’autres unités et services, à l’occasion de missions de maintien de l’ordre ».
« Montrer sa force à ceux d’en face »
L’ancien policier souligne que « le Raid est une unité de service ». « On la voit comme une unité qui intervient sur des prises d’otage et neutralise des forcenés, des terroristes. Mais le Raid est avant tout à disposition des autres unités de la police nationale pour procéder à des perquisitions ou des interpellations d’individus suspectés d’êtres armés et dangereux. Il a des moyens d’effraction rapide et des moyens pour se protéger. » Dans le contexte des émeutes urbaines, « avec des individus susceptibles d’être puissamment armés, on utilise les CRS, la sécurité publique, les services de renseignement et le Raid pour faire face ».
« En termes de logique », mobiliser cette force d’intervention « n’est pas stupide du tout », complète Bruno Pomart, un ex-policier du Raid, fondateur de l’association Raid aventure, qui vise à rapprocher la police et la population. « Employer des unités spéciales rassure les forces de l’ordre lorsqu’elles font face à des groupuscules ultra-violents, elles se sentent soutenues », indique-t-il à 20 Minutes. « Quand j’ai intégré l’unité, qui était basée à Bièvre (Yvelines), on était 70. Aujourd’hui, ils sont environ 500, répartis dans des unités régionales. Ces effectifs sont capables d’intervenir un peu partout en France. Pourquoi ne viendraient-elles pas soutenir leurs collègues quand il y a des violences urbaines ou des règlements de compte dans les quartiers ? » L’intérêt pour l’Etat, ajoute Bruno Pomart, est aussi de « montrer sa force à ceux d’en face qui n’ont plus peur de rien ».
« Nous ne sommes pas du tout formés pour ce genre d’émeute »
Les policiers mis en cause dans la mort de Mohamed Bendriss l’ont pourtant bien expliqué aux enquêteurs de l’IGPN lors de leur garde à vue, dont le contenu a été révélé par Mediapart et Libération. « On se demandait ce qu’on foutait là », a résumé l’un d’eux. « C’était ma toute première nuit d’émeute dans ma carrière », a ajouté l’un de ses collègues. Avant d’insister : « Nous ne sommes pas du tout formés pour ce genre d’émeute, nous ne sommes pas habitués à cela. Nous n’avons même pas de protection adaptée. »
« La doctrine du maintien de l’ordre en France a complètement changé et il est devenu normal, pour les dirigeants, d’engager tous types d’unités, y compris celles qui sont non spécialisées et non formées dans le maintien de l’ordre », analyse Sebastian Roché, politiste et auteur de La nation inachevée, la jeunesse face à l’école et la police (Grasset, 2022). « Ces unités-là ne sont pas non plus formées à être intégrées à un dispositif complexe et sous pression, poursuit-il. Il y a le brouillard causé par les tirs massifs de gaz lacrymogène. Il faut imaginer la complexité pour coordonner sur le terrain des unités qui ne s’entraînent pas ensemble et qui ne sont pas faites pour travailler ensemble. »
« Une mauvaise idée »
Selon lui, c’est donc « une mauvaise idée d’employer des unités antiterroristes pour canaliser une colère populaire, même si elle se traduit par des dégradations : casser la vitrine d’un magasin ou poser une bombe dans une poubelle, ce n’est pas pareil. »
Et d’ajouter que la mobilisation du Raid est avant tout « une démonstration consistant à montrer la force contraignante de l’État ». Au risque d’écorner l’image de marque d’une unité qui fêtera ses 40 ans d’existence en 2025.