Rentrée scolaire 2023 : Pourquoi le pacte enseignant risque de patiner
EDUCATION•Parmi les sujets qui cristallisent le mécontentement figure le pacte enseignant, qui prévoit de nouvelles missions pour les professeurs volontaires en échange d’une hausse de rémunérations
Delphine Bancaud
L'essentiel
- Le pacte, lancé à cette rentrée, prévoit une hausse de rémunération conditionnée à de nouvelles missions aux enseignants qui seront volontaires pour le signer.
- Le dispositif est dans le collimateur des syndicats, qui dénoncent le fait que ces missions s’ajoutent à leur temps de service, alors qu’ils réclamaient des hausses de salaires sans contreparties.
- Initialement, le ministère tablait sur 30 % d’adhérents. Mais selon les syndicats, la proportion sera moindre. Gabriel Attal ne fait « pas de pronostics ».
En cette rentrée, il est au cœur des discussions en salle des profs. Le pacte, tout nouveau dispositif, consiste pour tout enseignant volontaire à s’engager à effectuer de nouvelles missions, en échange d’une rémunération supplémentaire. Un gain salarial qui représentera de 1.250 euros bruts par an pour une mission complémentaire à 3.750 euros bruts par an pour trois missions complémentaires acceptées. Et chaque mission représentera de 18 à 24 heures par an en fonction de sa nature.
Pour les enseignants du second degré, il s’agira prioritairement d’assurer des remplacements de courte durée de collègues absents. Autres missions proposées : la participation au dispositif « devoirs faits » (aide aux devoirs au collège), à des stages de réussite lors des vacances ou, pour les enseignants du premier degré, à l’heure hebdomadaire de soutien en français et maths en 6e créée à la rentrée.
« C’est un remake du "travailler plus pour gagner plus" »
C’est le principe même d’un bonus salarial sous conditions qui hérisse les syndicats enseignants, lesquels y voient une remise en cause de leur statut. « C’est un remake du "travailler plus pour gagner plus", alors que 50 % des professeurs des écoles déclarent déjà travailler en moyenne 43 heures par semaine. Cela ne répond en rien à la promesse originelle d’Emmanuel Macron d’augmenter tous les enseignants de 10 % sans contrepartie », lance Blandine Turki, secrétaire générale de la SNUipp-FSU. Amaury, enseignant depuis cinq ans, témoigne de cet état d’esprit : « J’ai fait cinq ans d’études, passé un concours difficile. J’ai des semaines infernales. Je ne me plains pas outre mesure, j’aime mon métier. Mais je ne vois pas comment je pourrais en faire davantage. Ce pacte, je le vis comme un mépris violent de la part du gouvernement. Le sous texte est le suivant : vous ne foutez rien ».
Autre crainte des profs : que le pacte accentue les inégalités de salaires dans la profession. « Les hommes risquent d’être davantage disponibles que les femmes. A l’heure actuelle, ils font déjà plus d’heures supplémentaires que leurs consœurs », constate Blandine Turki.
Des crispations entre collègues redoutées
On redoute que le pacte sème la zizanie dans les équipes. Selon un sondage du Se-Unsa réalisé au mois d’août auprès de 2.000 de ses adhérents, 31 % des sondés estiment ainsi que le pacte créera des injustices entre les personnels et les territoires, 25 % pensent que cela désorganisera notre système éducatif, et 24 % que des tensions dans les équipes vont émerger. « Quand on crée une possibilité d’augmentation qui ne s’adresse pas à tout le monde, ceux qui ne peuvent pas y accéder pour des raisons diverses ressentent un sentiment d’injustice », souligne Elisabeth Allain-Moreno, la secrétaire générale du SE-Unsa.
« Certains enseignants, qui auront signé un pacte, ne seront pas disponibles à l’heure des réunions d’équipe ou pour rencontrer les familles, ce qui générera des problèmes d’ordre organisationnel et des crispations », prévoit déjà Gilles Langlois, secrétaire national du SE-Unsa. Anticipant déjà des bisbilles, les enseignants qui souhaitent adhérer au dispositif restent très discrets sur leurs intentions auprès de leurs collègues. « L’ambiance va être sympa en salle des profs, entre ceux qui gardent un peu d’estime d’eux-mêmes et ceux qui participent au dévoiement de l’Education nationale pour quelques clopinettes ! », anticipe Léon, professeur d’électronique en lycée professionnel.
La bataille des chiffres va commencer
Forts de toutes ces critiques, les syndicats enseignants ont œuvré ces derniers mois pour convaincre leurs collègues de ne pas signer de pacte. « On a déjà gagné la première manche en expliquant aux enseignants qu’il ne s’agissait pas d’une revalorisation », indique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. Difficile pour l’heure de savoir si ce travail de sape a fonctionné. Si l’ancien ministre, Pap Ndiaye, se disait en juillet « tout à fait confiant » sur le fait d’avoir au moins 30 % d’enseignants signataires, son successeur n’avance plus aucun chiffre. « Je ne fais pas de pronostics. On aura les premiers chiffres après la rentrée. Il y aura une montée en puissance. Je sais qu’il va falloir convaincre », a déclaré Gabriel Attal lors de sa conférence de presse lundi dernier.
Du côté syndical, on mise sur un faible empressement. « D’après nos premières infos, le ministère n’atteindra pas les 30 % de signataires. Mais ce sera disparate selon les départements », estime Blandine Turki. Le pacte devrait prendre davantage au collège et en lycée pro que dans les écoles et les lycées généraux. Dans le second degré, le fait de devoir s’engager pour assumer prioritairement des remplacements de courte durée pourrait en dissuader certains, alors qu’ils seront mobilisables sur des horaires fixes d’au moins une heure par semaine. « Je ne souhaite pas remplacer un collègue au pied levé. Il ne s’agit alors pas d’enseigner mais plutôt de faire de la garderie. Un cours, ça se prépare, pour des élèves que l’on connaît, et pour lesquels on connaît la progression de l’enseignant absent », témoigne Myriam, prof de maths. C’est pourtant l’un des principaux enjeux du pacte : lors de sa conférence de presse, Gabriel Attal a déploré « 15 millions d’heures perdues chaque année ».
« On veut l’abandon du pacte »
Gilles Langlois se veut plus prudent sur ce qu’il adviendra du pacte : « Nous savons que certains collègues vont s’engager, car ils ont besoin de gagner plus. Je ne serai pas étonné que ce soit de l’ordre de 20 % ». Car avec ce dispositif, l’heure supplémentaire sera payée 69 euros brut, contre 26 euros actuellement dans le premier degré, 45 euros pour un prof certifié dans le secondaire et 55 euros pour un agrégé. Un argument qui pourrait finir par convaincre certains réfractaires en période de forte inflation ? Par ailleurs, les contractuels pourraient être plus enclins à signer pour améliorer leur rémunération et se faire bien voir par leur hiérarchie.
Reste que les syndicats, unanimes contre le dispositif, ne comptent pas abandonner la partie. « On ne peut pas accepter que le dossier des salaires soit clos. On veut l’abandon du pacte », prévient Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. Un sujet qui risque donc d’être l’épreuve du feu de Gabriel Attal.