Marseille : Le mistral, un « maître vent » de culture populaire
ça rend fada (parait-il)•Phénomène météorologique, le mistral souffle aussi sur la culture populaire. Chansons, croyances, santons, paysages et architectures, le mistral façonne l’identité provençaleAlexandre Vella
L'essentiel
- Le mistral souffle environ 80 jours par an à Marseille.
- Plus qu’un vent, le mistral a une place particulière dans la culture provençale.
- De son origine météorologique aux légendes jusqu’à son impact sur les paysages et l’architecture, on vous dit tout sur le mistral.
Il est bien là : Les passants agrippent leurs chapeaux, les déchets volent, les canettes roulent, les portes claquent, les voiliers du Vieux-Port hurlent et les poussières piquent les yeux. Il, c’est le mistral. Ce vent violent venu du nord qui souffle sur la Provence près de 80 jours par an. Phénomène météorologique, le mistral façonne aussi l’identité provençale, ses paysages, son architecture et inspire la culture populaire, ses chansons, ses santons et ses croyances.
Le mistral, plus que de l’air
Mais avant d’en arriver là, évacuons pour commencer les mécanismes atmosphériques à l’origine de son apparition. Pour se former, le mistral a besoin de réunir deux conditions : « Une zone de haute pression située à l’ouest, c’est-à-dire un anticyclone, généralement positionné sur les Açores ou dans le golfe de Gascogne, et, à l’est, une zone de basse de pression, c’est-à-dire une dépression, d’ordinaire localisée dans le golfe de Gênes, ou dans l’est de l’Europe », explique Pascal Coulier, prévisionniste à Météo-France en Paca. Dans l’hémisphère nord, « les anticyclones tournent dans le sens des aiguilles d’une montre et les dépressions en sens inverse. Cela crée sur la France un flux de vent orienté nord, ou nord ouest qui s’accélère dans la vallée du Rhône, compressé à l’est par les Alpes, et à l’ouest le Massif Central », poursuit le météorologue.
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, le mistral « ce n’est pas que de l’air », souligne le linguiste provençal Médéric Gasquet-Cyrus. « On se vante souvent du soleil mais c’est du mistral dont on parle le plus. C’est un ennemi pour les marins, il assèche les terres des agriculteurs, provoque des dégâts, façonne le paysage », continue l’universitaire avant de préciser l’origine étymologique du mistral, qui vient du vieux « maestral », issu du latin « magistralis », signifiant « maître ». Ce lundi, avec un mistral à plus de 100 km/h, les pompiers des Bouches-du-Rhône sont intervenus à une quarantaine de reprises. A Aix-en-Provence, une jeune femme a été assez grièvement blessée après la chute d’une lourde branche de platane.
Un des « trois fléaux de Provence »
Le mistral, un maître vent donc, dont les rafales atteignent régulièrement les 100 km/h, a été relevé en 1967 à 320 km/h au sommet du bien nommé Mont Ventoux. Météo-France décompte une moyenne d’environ 80 jours par an de mistral, en ne considérant que les épisodes avec des rafales supérieures à 60 km/h. Une puissance telle qu’il fut considéré par la sagesse populaire comme l’un des trois fléaux de la Provence, avec la Durance, torrent impétueux descendant des Alpes, et le Parlement. Mais comme la Durance, qui avec son affluent le Verdon représente 75 % de la ressource d’eau disponible dans la région, tout n’est pas noir avec le mistral.
En Camargue, il chasse les nuées de moustiques et assèche les marais. Il disperse la pollution de l’air des villes et des industries vers le large. Cette dichotomie entre fléaux et bienfait est même à l’origine d’une légende. Il y a fort longtemps, lassés du mistral et de ses destructions, des Provençaux ambitionnèrent d’en trouver sa source pour la boucher. Ce fut chose faite en remontant jusqu’à l’actuel Ardèche où le « maître vent » sortait de dessous un rocher. Avec de solides planches, les Provençaux emprisonnèrent le mistral. Mais rapidement, des catastrophes s’abattirent : des canicules sans fin, de mauvaises récoltes, un air vicié et des maladies portées par des nuées de moustiques, tant et si bien que les habitants le libérèrent.
Le mistral est partout où on le cherche
Ainsi, le mistral s’inscrit pleinement dans la culture populaire. Pas étonnant dès lors, d’en trouver une représentation dans les crèches provençales où le santon du berger luttant contre le vent a une place de choix. Des chanteurs aussi se sont emparés de ce thème, de Moussu T, membre de Massilia Sound System, au rappeur Soso Maness qui a nommé Mistral son deuxième album. L’influence du mistral traverse les âges et lorsqu’on le cherche, on le voit partout. De l’architecture des mas, ces vieilles fermes provençales, dont les murs donnant au nord ne comptaient généralement pas de fenêtres, aux pins et chênes kermès voûtés dans le sens du vent, jusque dans les tracés des vieux quartiers, aux rues étroites et sinueuses pour casser le vent (et le soleil).
On dit aussi de ce vent qu’il rend fada (fou). A vrai dire, on l’est un peu tous à Marseille. Et du reste, on l’aime, parfois, ce vent. Ce vent qui pousse le ballon dans les filets du Vélodrome, comme sur un corner de Nasri contre le Besiktas en septembre 2007. Ce vent qui fait fuir les parisiens, comme relaté dans un article post-Covid des Echos sur les déçus de ceux qui ont quitté Paris pour s’installer à Marseille.
À lire aussi