Canicule à Marseille : Andouillette, bain de minuit et clim' à tout prix
Récit•À Marseille, où les piscines municipales ont été rendues gratuites et les plages ouvertes la nuit pendant la canicule, touristes et habitants s’accommodent plutôt bien de la chaleur ambiante. Rencontres en ville de midi à minuitAlexandre Vella
L'essentiel
- A Marseille, comme dans plus de cinquante départements français, la canicule impose son rythme.
- Restaurateurs, touristes et habitants s’en accommodent alors que la mairie a rendu les piscines municipales gratuites et laissé ses plages ouvertes la nuit.
- Récit d’une déambulation caniculaire midi-minuit.
Cette fois-ci, la goutte d’eau est tombée sur le front. Aux pieds, une petite flaque. Avec plus de 35° dans l’air, ma foi, ce n’est pas désagréable. Sur les trottoirs marseillais, la scène se répète sous chaque immeuble ou presque, laissant deviner que les climatiseurs y tournent à plein. La clim, un argument à elle seule pour se choisir une activité. « Notre critère pour l’après-midi c’était un lieu climatisé », explique Myriam, une touriste venue de Paris avec son mari et leur enfant de neuf mois. En matière de climatisation, ce fut le Mucem, son exposition sur les Roms et son abécédaire sur la maternité. Une oasis de fraîcheur atteint au terme d’une pénible marche le long du Vieux-Port, sur lequel l’architecte n’a pas eu idée d’y planter un arbre. J’y pense, souvent, à ce qu’a pu être cette anse naturelle du temps où elle était encore bordée de pins et plus encore à ce que ce cœur de Marseille serait aujourd’hui s’il y avait des arbres. Mais du quai Rive-Neuve au quai du Port, c’est une fournaise que seule l’ombrière du quai des Belges vient interrompre. Une fournaise dont s’accommodent visiblement Audrey et sa fille Morgane qui mangent en plein soleil un burger de fast-food sur une table de pique-nique installée par la mairie. « On est des femmes du sud. Le cagnard on sait faire, un peu de crème solaire et après manger on va aller se baigner ».
Sur le marché d’été voisin, le vendeur de chichis a rangé son huile de friture pour sortir les glaces. Et tout autour du port, les restaurateurs ne sont pas à la fête : « Ce n’est pas une belle saison, en fait ce n’est pas une saison du tout », maronne Eric du bar-restaurant de la mairie. « En dix ans ici, c’est même pas loin d’être la plus mauvaise avec celle de 2016, où l’attentat de Nice avait fait plonger le tourisme ». Il espère désormais un effet coupe du monde de rugby pour une arrière-saison prospère. Un constat que partage Yann, serveur au Bouchon provençal. Mais pour Yann, cette saison maussade est davantage à mettre sur le dos « des émeutes. Les touristes ne sont pas venus avant le 15 juillet. Et puis là, entre l’inflation et la canicule, cela forme un tout », indique-t-il en engloutissant avant le service un toast chèvre miel. Le menu du jour propose, entre autres, des raviolis servis avec une daube. Plus haut un restaurant de quartier propose une andouillette. Pas vraiment les plats dont on rêverait lorsqu’il fait plus de 30° à l’ombre. « Mais ma foi, les clients veulent ça et demandent souvent à manger en salle qui est climatisée ». Et, comme chacun le sait, les clients sont rois.
Baignade à quatre heures du matin
Sur les terrasses du cours Estienne d’Orve, légèrement en retrait du port, les brumisateurs tournent à plein. Cette place, légèrement en retrait du port, n’a pas non plus reçu l’intelligence d’y voir des arbres plantés. « Sans les brumisateurs, je ne travaille pas », admet un restaurateur qui constate : « avec la chaleur les clients sortent le soir manger un peu plus tard, alors forcément, ça réduit le temps de service. Mais de la canicule, globalement, personne ne s’en plaint trop ici. « Ce serait tout de même le comble de vanter toute l’année le soleil pour finir par râler lorsqu’il fait chaud », avance Olivier, un Marseillais qui, à 15 heures, n’en est pas a son premier digestif depuis un bar donnant sur la plage des Catalans. Celle-ci restera ouverte toutes les nuits, le temps que la canicule dure. Une mesure prise par la municipalité pour toutes ses plages qui ne fait ni chaud ni froid au serveur du bar : « A part des verres d’eau à servir, des demandes de pipi-toilettes et des téléphones à recharger, ça ne me fait rien. Enfin, si, personnellement j’aime bien et ça me permet d’aller me baigner un coup à quatre heures du matin, juste avant la fermeture ».
La nuit venue, ils sont encore une cinquantaine à profiter de cette plage du centre-ville de Marseille. Groupes d’amis, jeunes couples enamourés, familles, la population est à l’image de la ville. Pascaline, installée avec son enfant de sept ans et son mari, est venue en bus « pour se rafraîchir après manger ». Elle trouve ça « normal que la ville s’implique pendant les pics de chaleur et laisse ses plages ouvertes la nuit ». Posés sur une serviette, Anna et Mathieu ne savaient pas que la plage allait rester ouverte : « Ah ben on pensait devoir partir. Tant mieux ». Ce jeune couple dans leur vingtaine est habitué du coin. « C’est un peu comme un lieu de rendez-vous », explique Anna, qui sort de l’eau en constatant : « normalement, lorsqu’on se baigne le soir on a un peu froid et vite envie de se rhabiller. Mais là, non, nickel ». Sur la plage, un agent de sécurité patrouille, lampe de poche en main et brassard orange sur le biceps. « Tout se passe bien, c’est tranquille là », apprécie le jeune homme en ranger et tout de noir vêtu, avant de se reprendre, en larguant un nuage de fumée de sa cigarette électronique : « Enfin, parfois, il se passe des dingueries. Ça reste Marseille quand même. L’autre jour [samedi], y’a un gars il a sorti une machette et a poignardé le cheval de la police pour un téléphone quand même ». Minuit approche et, dans l’eau, une dizaine de baigneurs dessinent des ombres dans la lueur des éclairages de la terrasse du très sélect Cercle des nageurs et ses deux piscines privées.
« 36°, c’est de la gnognote »
Des piscines auxquelles n’auront pas accès les Marseillais. La mairie a pourtant rendu des piscines municipales gratuites le temps de la vague de chaleur. De quoi en ravir certains, et en décevoir d’autres lorsque vient l’heure de sortir de l’eau. Devant la piscine Saint-Charles, un minot chouine de colère pour cette raison. « On va revenir dans tout à l’heure », tente sa mère pour le calmer. Il est 14 heures, et la piscine ferme pour une petite heure, le temps de permettre aux agents de nettoyer le bassin et de manger un morceau. Mais Anne-Marie, ses deux sœurs et leurs sept enfants ont tout prévu. Habitants de la Belle-de-Mai voisine, elles ont décidé d’y passer la journée et installé en rang d’oignon leurs petits sur le trottoir pour une distribution de sandwich thon-oeuf-mayonnaise maison. « Gavées de la mer », après un été à y aller trop souvent, ces Marseillaises sont bien contentes d’être à la piscine.
Notre dossier sur la caniculeComme elles, Marie et Joanna patientent devant la grille de la piscine en fumant un joint. Toutes deux sont touristes, Marie vit à Valence, en Espagne. Et pour elle « 36°, c’est de la gnognote ». Son amie originaire de Metz trouve quant à elle la chaleur plus supportable ici, « où il y a un peu d’air ». Les deux trentenaires confessent préférer la piscine à la mer : « A la plage à Marseille, t’es jamais tranquille. Tu peux te faire lourdement draguer, tu n’oses pas aller dans l’eau tous ensemble pour pas lâcher tes affaires des yeux », a expérimenté Joanna. Une occasion qu’elle n’aurait de toute façon pas eue ce lundi sur la plage de l’Huveaune, temporairement fermée la matinée en raison d’une pollution certainement venue du fleuve qui s’y jette. Un fleuve urbain qui charrie quantité de déchets et qui a conduit les Marseillais à surnommer la plage voisine de son embouchure « épluchures beach ».
Alors que la nuit tombe une nouvelle fois sans emporter avec elle les températures, la vie poursuit son cours dans les rues de la ville. Des promeneurs marchent sur la route, des scooters roulent sur les trottoirs et les climatiseurs gouttent.
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