En Alsace, sécheresse et inflation donnent chaud à la choucroute
REPORTAGE•Chacun souhaitant acheter et vendre au meilleur prix en fonction de l’inflation, la choucroute d’Alsace fait l’objet de vives tensions entre producteurs et transformateurs.Pigiste Régions1
L'essentiel
- L’Alsace connaît actuellement quelques tensions entre producteurs de choux et transformateurs en choucroute. « Les producteurs demandent environ 20 % supplémentaires, tandis que nos clients souhaitent une baisse de prix. Je suis entre le marteau et l’enclume », résume un transformateur.
- L’eau, l’électricité, les engrais dont le prix a augmenté… « Ces charges supplémentaires, les choucroutiers (transformateurs de choux) doivent les entendre », estime de son côté un producteur.
- Reportage à Krautergersheim, capitale de la choucroute.
«Ça sent mauvais papa, comme si quelqu’un avait pété », lance avec ses mots d’enfants Mathis, 6 ans. L’odeur particulière qui vient lui chatouiller les narines est celle des choux, alignés par centaine dans un champ de Krautergersheim. Bienvenue dans la « capitale de la choucroute », comme il est fièrement indiqué sur un panneau à l’entrée de la commune du Bas-Rhin. Ici, les producteurs côtoient les transformateurs. Et ici, actuellement, Mathis a raison… il y a quelques tensions.
« Les producteurs demandent environ 20 % supplémentaires, tandis que nos clients souhaitent une baisse de prix. Je suis entre le marteau et l’enclume », résume Yannick, à l’entrée de l’usine de transformation dont il est le cogérant. L’entreprise familiale transforme depuis quatre générations 5.000 tonnes de choux à choucroute par an. Soit un peu moins de la moitié de la production alsacienne totale. Philippe, installé quelques mètres plus loin, est, lui, producteur de choux depuis plus de vingt ans. Il ne le cache pas : ses dépenses ont explosé, notamment à cause de la chaleur. « Cela fait maintenant plusieurs années que nous sommes contraints d’irriguer les terres de façon assez régulière et à plusieurs reprises, ce qui accroît forcément nos coûts. Ces charges supplémentaires, les choucroutiers (transformateurs de choux) doivent les entendre », estime le quadragénaire, en évoquant aussi les augmentations des prix de l’énergie, de l’engrais ou du matériel.
Les différents acteurs de cette filière arriveront-ils à trouver un terrain d’entente ? Yannick, tente de faire preuve de bonne volonté. « Nous avons accepté une hausse de l’ordre de 12 % sur les 20 demandés initialement par les producteurs. On veut bien les soutenir, mais on fait ce que l’on peut malheureusement, car nous ne sommes pas maîtres de nos prix de vente », déplore le jeune choucroutier. Philippe, de son côté, se montre plus laconique en indiquant que sans producteurs, il n’y aurait pas de transformateurs. Un argument rapidement balayé par le cogérant de l’usine de transformation : « Pour que les producteurs puissent continuer à produire du chou, il faut des choucroutiers. C’est donc dans l’intérêt général que l’on se doit d’avancer pas à pas, au rythme de chacun. »
« Payer plus cher pour une étiquette ? »
Au risque de voir la choucroute venir d’ailleurs… Aujourd’hui, 70 % du célèbre chou coupé en lamelles consommé en France vient d’Alsace. Mais d’autres bassins de production, situés dans l’Aube, la Sarthe, voire en Allemagne et en Pologne, émergent. « Ces marchés sont très compétitifs, assurent Yannick. En France, la choucroute d’Alsace est prédominante parce qu’on reste le bassin de production le plus conséquent, mais ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain. On se doit donc de rester très vigilant. »
Pour faire face à cette concurrence venue d’outre-Rhin, le label « choucroute d’Alsace IGP » a été lancé il y a cinq ans. Il permet de garantir l’origine géographique. Mais la certification IGP a un prix et certains producteurs sont réticents à l’idée de financer le précieux label. Ils refusent aussi de se plier à un cahier des charges qui les soumettraient à un contrôle régulier. Une choucroute labellisée IGP est vendue 10 à 15 % plus cher qu’une non labellisée. De quoi, aussi, freiner quelques consommateurs…
Croisée dans un supermarché d’Obernai, Andrée confirme : « Cela fait des années que j’achète de la choucroute. Toujours la même, du même producteur qui se trouve à quelques kilomètres d’ici. Elle n’est pas plus locale aujourd’hui qu’elle ne l’était hier, alors pourquoi devrais-je la payer plus cher pour une étiquette ? ». En Alsace, les producteurs et transformateurs de choucroute ont réussi à trouver un accord pour cette récolte 2023. Ils auront l’occasion de le célébrer lors de la traditionnelle « Fête de la choucroute », fin septembre à Krautergersheim. Une belle occasion aussi de parler de la suite, et d’évoquer l’avenir de la filière.
À lire aussi