JusticePourquoi les parents d’enfants placés conservent-ils leurs allocs ?

Pourquoi les parents d’enfants placés conservent-ils leurs allocs ?

JusticeDans les textes, la règle veut que les allocations familiales pour un enfant placé reviennent à l’ASE. Dans les faits, la logique semble inversée malgré la pugnacité des politiques à s’emparer du sujet
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • En l’état de la réglementation, sauf exception, les parents d’enfants placés auprès de l’ASE ne devraient plus percevoir la part de prestations sociales dues pour ces enfants.
  • Malgré les différentes réformes proposées par des élus, essentiellement de droite, le maintien du versement de la CAF aux parents est toujours à l’appréciation du juge aux affaires familiales.
  • Dans les faits, la plupart du temps, les familles conservent le bénéfice de ces prestations afin de « maintenir le lien » avec leurs enfants placés.

Toucher aux allocations familiales ou aux prestations sociales est un sujet épineux. On se souvient de maires ayant vu les foudres s’abattre sur leurs têtes pour avoir voulu couper les aides sociales aux familles d’enfants responsables de dégradations dans leurs communes. Plus récemment, les partis Reconquête !, RN et LR avaient suggéré cette solution pour responsabiliser les familles dont les enfants ont participé aux émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Dans le même temps, la droite peine tout autant à faire respecter une règle pourtant écrite : arrêter le versement systématique de la CAF aux parents d’enfants placés.

Cela peut sembler illogique au premier abord, mais dans les faits, la plupart des parents d’enfants placés auprès de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) continuent de toucher des prestations sociales pour une filiation dont ils n’assument plus la charge financière. Une pratique courante, laissée à l’appréciation du juge des enfants, et prévue par la réglementation. En effet, le paiement d’allocations familiales est encadré par le Code de la Sécurité sociale, à l’article L521-2, lequel précise que « les allocations sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant bénéficiaire ». Cette phrase apparaissait en haut de la première version du texte, adopté en 1985, et elle est toujours en vigueur aujourd’hui, même si l’article a été largement enrichi depuis.

Une décision qui revient au juge uniquement

C’est un de ces enrichissements qui pose problème aux politiques justement. Pour un enfant placé, il est certes prévu que les allocations revenant à la famille pour cet enfant soient versées à l’ASE. L’article précise ensuite que « le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, […] de maintenir le versement des allocations à la famille ». La réserve est que les parents participent « à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant » ou que cela puisse « faciliter le retour de l’enfant dans son foyer ». En 2013 déjà, la sénatrice LR Catherine Deroche déplorait que la pratique « ignore l’esprit de la loi » puisque « l’exception est devenue la règle ». Dans son rapport remis au Sénat, elle insistait pour que la part de la CAF versée aux parents ne dépasse pas 35 % du montant dû pour l’enfant placé. Et pour attribuer cette part aux parents, le juge devait prendre en compte un rapport établi par l’ASE. Ces modifications n’ont pas été ajoutées au texte.

Bien plus tard, en décembre 2022, Antoine Vermorel-Marques, un autre élu LR, député cette fois, s’est emparé du sujet. Il a rédigé une proposition de loi en partant du même constat que la sénatrice. Mais lui souhaite aller plus loin, écartant le juge aux affaires familiales de la boucle, en inscrivant dans la loi « le versement systématique des allocations familiales inhérentes à un enfant placé au service de l’Aide sociale à l’enfance ». À l’époque, selon nos confrères du Pays, ce texte avait interpellé la secrétaire d’État à l’enfance, Charlotte Caubel. Mais encore une fois, cela n’avait abouti à rien de concret. Selon nos informations, cette proposition de loi n’a jamais été évoquée en séance à l’Assemblée.

Flemme administrative et recours gagnants

Alors pourquoi cela coince et pourquoi l’exception est-elle devenue la règle ? « L’argument souvent avancé par les juges est le maintien du lien », explique à 20 Minutes une assistante sociale, rompue au fonctionnement de l’ASE, qui préfère garder l’anonymat. Mais ce n’est pas la seule raison : « Aujourd’hui, les familles d’enfants placés qui voient leurs allocations suspendues n’hésitent pas à prendre un avocat pour faire appel. Et dans les cas que je connais, elles ont à chaque fois gain de cause », poursuit la travailleuse sociale. Cette dernière affirme aussi qu’administrativement parlant, il est moins compliqué de laisser les choses en l’état. « À dire vrai, ce n’est pas quelque chose qui se met en place très facilement », reconnaît maître Mathilde Tomaszek, avocate spécialisée en droit de la famille. Elle n’a d’ailleurs jamais eu à traiter ce genre de demande.

Pour Jenny Lamy, avocate spécialisée dans les recours contre les placements abusifs d’enfants, c’est un faux problème. « Vouloir gratter de ce côté est incompréhensible et cela ne changerait rien au budget de l’ASE », insiste-t-elle. Dans les chiffres, ce n’est pas faux. Pour un couple dans la plus basse tranche de revenus, la CAF verse 142 euros pour deux enfants. Or, selon l’Insee, en 2023, les dépenses totales brutes de placement dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) dépassaient les sept milliards d’euros pour environ 200.000 enfants. Et quand le député Antoine Vermorel-Marques dénonçait le versement d’une sorte de « RSA bis » aux parents d’enfants placés, maître Lamy crie halte aux clichés : « Peut-être que si on enlève ça aux parents, ils n’auront plus les moyens de maintenir le lien, de se déplacer pour voir leurs enfants, de faire de petits cadeaux, martèle l’avocate. Toutes ces propositions de loi ne prennent pas en compte le fait qu’une partie de la population est, parfois, dans une situation financière extrêmement difficile ».