Une communauté Emmaüs du Nord accusée d’exploiter des sans-papiers

Nord : « Ce n’est pas du bénévolat, c’est de l’exploitation », une communauté Emmaüs au centre d’un scandale

EnquêteLa communauté Emmaüs de Saint-André, est dans la tourmente. Visée par une enquête pour travail dissimulé doublée d’une grève de certains compagnons et pressée par Emmaüs France d’engager un audit externe et de mettre en retrait sa directrice
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • Des compagnons sans papier des communautés Emmaüs de Saint-André et de Wambrechies sont en grève.
  • Ils dénoncent une forme d’exploitation et les fausses promesses de la direction de leur obtenir une régularisation de leur situation.
  • Une « mise en retrait » pend au nez de la responsable de la communauté, un audit externe a été lancé et une enquête pénale ouverte.

Charité mal ordonnée. « Ne pas subir, toujours agir », telle est la devise du mouvement fondé en 1949 par l’Abbé Pierre et que les compagnons de la communauté Emmaüs de Saint-André (et certains de celle de Wambrechies), dans le Nord, entendent désormais suivre à la lettre. Soutenus par la CGT, ces travailleurs sans papiers ont entamé une grève pour dénoncer une forme d’esclavage moderne dont ils sont victimes au sein même d’une structure censée redonner espoir et dignité aux plus faibles. Leurs revendications semblent à ce point légitimes qu’une enquête pénale a été ouverte par le parquet de Lille. D’un autre côté, Emmaüs France a demandé un audit externe et une « mise en retrait » de la responsable de la communauté de Saint-André.

Pour couper court aux éventuels commentaires malveillants, oui, une partie des compagnons d’Emmaüs sont des étrangers en situation irrégulière, et non, ce n’est pas illégal de les accueillir et de les faire travailler au sein des communautés. En effet, le statut de travailleur solidaire des compagnons ne relève pas du Code du travail et ils ne sont pas considérés comme des salariés. Il y a aussi ce fameux article L265-1 du Code de l’action sociale et des familles qui réglemente le statut des personnes accueillies dans les Oacas (Organismes d’accueil communautaires et d’activités sociales). Et comme le précise Emmaüs France à 20 Minutes, la « quasi-totalité des communautés Emmaüs » sont agréées Oacas. Seules cinq en France ne le sont pas, dont celle de Saint-André comme nous avons pu le constater en consultant l’arrêté du 27 février 2020 portant agrément d’organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires.

La promesse d’un titre de séjour qu’ils n’auront jamais

L’absence d’agrément pose plusieurs problèmes aux compagnons travaillant au sein de la Halte Saint-Jean, le nom de la communauté Emmaüs de Saint-André. Le premier, et le plus important, est qu’ils ne peuvent prétendre à un titre de séjour temporaire après avoir justifié de trois ans de présence au sein d’une communauté agréée Oacas comme le prévoit la loi dite « asile immigration » du 10 septembre 2018. Les compagnons de Saint-André, présents dans la communauté depuis plusieurs années pour certains, réclament ainsi des fiches de paye prouvant qu’ils sont effectivement déclarés auprès de l’Urssaf pour obtenir, « comme la direction [leur] a promis, [leur] régularisation ». Ils ne les auront pas, puisque seules « les communautés agréées Oacas cotisent auprès de l’Urssaf sur la base de 40 % du Smic », explique à 20 Minutes Emmaüs France. Et pas de cotisation Urssaf, pas de « droits qui découlent du régime général de la protection sociale ». C’est une autre de leurs revendications.

Après avoir rendu visite aux compagnons grévistes, le député LFI du Nord, David Guiraud, s’est ému de leur situation. « J’ai écouté, horrifié, le récit des sans-papiers maltraités. Quarante heures par semaine pour 150 euros par mois, ce n’est pas du bénévolat : c’est de l’exploitation. L’Abbé Pierre aurait été triste de découvrir ces maltraitances », a-t-il déclaré sur Twitter. « Propos racistes », « attitudes humiliantes », « intimidation », « menaces » ou encore le non-respect de l’intimité dans les logements… Voici, entre autres, ce que veulent voir cesser les compagnons de Saint-André.

« Je n’exclus pas de déposer plainte contre le président d’Emmaüs France »

Alerté, Emmaüs France a envoyé sur place une délégation « afin d’échanger avec ses dirigeants mais aussi avec les personnes accueillies ». Une visite dont les conclusions ne nous ont pas été dévoilées, mais qui a tout de même poussé Emmaüs France à demander plusieurs choses à la Halte-Saint-Jean : lancer un audit externe et mettre en retrait sa directrice « tant afin de garantir la protection des personnes accueillies que celle de cette dernière ». Des demandes plutôt mal accueillies par les intéressés : « Emmaüs France a perdu son sang froid et cherche à se protéger », déplore Pierre Duponchelle, le président de la communauté de Saint-André. Il précise d’ailleurs qu’Emmaüs national « n’a aucun pouvoir » sur les associations locales. « Demander la mise en retrait est une prise de position induisant que les allégations contre notre communauté sont vraies. Je n’exclus pas de déposer plainte contre le président d’Emmaüs France pour complicité de diffamation », affirme Pierre Duponchelle.

Notre dossier sur Emmaüs

Parallèlement à cela, « la situation de la Halte Saint-Jean fait l’objet d’une enquête préliminaire », a-t-on appris auprès d’Emmaüs France, confirmant une information de nos confrères de Street Press. « Le parquet de Lille a effectivement initié au mois de mai une enquête préliminaire des chefs de travail dissimulé et traite d’êtres humains et co-saisi la BMRZ et l’OCLTl », a précisé à 20 Minutes la procureure de Lille. « Les investigations sont en cours afin d’établir ou non la commission des infractions », a-t-elle ajouté.