Macron à Marseille : Bains de foule, (furtive) casserolade et dealers blasés pour la première journée
Reportage•Du Vieux-Port aux quartiers nord, le président de la République s’est démené ce lundi, pour une première journée consacrée à la thématique de la lutte contre les trafics de drogueAlexandre Vella
L'essentiel
- Le président de la République a entamé ce lundi une visite de trois jours à Marseille.
- Il y présente l’acte II du plan « Marseille en grand », annoncé par sa première visite en septembre 2021.
- Ce lundi, avec une visite des Baumettes et de deux quartiers aux destins différents, était consacré à la thématique de la lutte contre les trafics de drogue.
Pour son premier jour de l’acte II du plan « Marseille en grand », Emmanuel Macron a mouillé le maillot, comme on dit. Arrivé peu avant midi à l’hôtel de ville sur le Vieux-Port et sous un soleil de plomb, le président, comme tous les cravatés accompagnant ses déplacements, a néanmoins gardé sa chemise blanche étonnamment impeccable. Un bout de chemise que chassaient du regard quelques curieux, touristes et journalistes, tenus à une centaine de mètres du lieu où Emmanuel Macron a été accueilli par Benoît Payan, le maire de la ville, Martine Vassal, la présidente du département et de la métropole et de Renaud Muselier le président de région.
« J’espérais pouvoir lui serrer la main, mais là je crois que c’est mort », constate Alexandre, un antiquaire Marseillais qui n’avait pas mieux à faire aujourd’hui. Lui dit ne pas avoir vraiment d’avis sur sa manière de gouverner. Il aime juste approcher les politiques. « J’ai déjà serré la main à Mélenchon, tu sais. »
A ses côtés, deux touristes Néerlandais tentent de trouver un coin d’ombre pour patienter en attendant que le Quai-du-port soit de nouveau ouvert à la circulation. Un couple de retraités du Var contemplent brièvement ce spectacle (où il ne se passe en fait rien) avant de se diriger finalement vers un autre restaurant. « Ce n’est pas ça qui manque », remarquent-ils, fins observateurs. Deux jeunes copines marseillaises, elles, patientent, surprises par le déplacement présidentiel mais déterminées à se rendre dans le restaurant de leur choix : « De base, on voulait juste manger des moules. »
Une première séquence entre officiels et sans agitation dans cette journée qui est allée crescendo. Car après un passage en début d’après midi aux Baumettes pour la visite du chantier de réhabilitation-extension et plusieurs annonces de mesures de lutte contre les trafics de drogues, Emmanuel Macron était attendu dans le quartier des Campanules, proprette copropriété du 11e arrondissement, pour une discussion avec des habitants qui s’étaient distingués en janvier dernier en refoulant les tentatives d’installation d’une équipe de trafiquants qui voulaient y ouvrir un point stup.
« Bienvenue aux Campanules, Monsieur le Président », proclamait une banderole blanche au lettrage bleu OM à l’entrée du quartier, fermé par deux barrières automatiques et gardé par moult forces de police pour l’occasion. Dans les massifs d’ornement de la résidence, Patrick, a qui il manque trois chicots, sue à grosse goutte avec son taille-haie : « Je suis en train de me crever pour le président depuis une semaine », sourit ce quadragénaire. Lui habite et a grandi à La Castellane, alors il peine à comprendre pourquoi Emmanuel Macron « vient parler drogue ici ».
Les South Winners sur tous les ballons
Au pied du bâtiment H, lieu de la « bataille contre les dealers », dans lequel se sont tenues les discussions, une petite fan zone a été installée, occupée par une cinquantaine d’habitants et de militants Renaissance ramenés pour l’événement. Le checkpoint a été improvisé entre un tilleul et le grillage d’un vétuste terrain en foot en béton et sans cage
qu’Ibrahim, 19 ans, carrossier, voudrait bien voir refaire. « Y’a rien à faire ici. C’est pas le pire des quartiers mais s’il y’a rien à faire ça peut le devenir. »
Des pancartes, « Olympique de Macron », « Bienvenue Monsieur le Président », sont à disposition. La séquence est orchestrée par Sabrina Roubache, députée Renaissance de la circonscription, réputée proche du couple présidentielle. De l’autre côté des grilles de l’enceinte du quartier, une dizaine de personnes attendent également : « Moi je suis venue du centre-ville lui dire ses quatre vérités. Je suis gilet jaune depuis le début », rappelle Olivia*. Tenus à l’écart et peu nombreux, ils ont été inaudibles. Deux salles, deux ambiances.
La banderole est finalement déplacée à la hâte au pied de l’immeuble. Elle a été conçue par des membres des South Winners, groupe de supporteurs de l’OM dont les deux leaders sont présents. Il y a quelques semaines, c’est Benoît Payan qui a joué le capo dans leur tribune du virage sud. Décidément, ils sont sur tous les ballons. Quelques instants plus tard, aux alentours de 15h30, Emmanuel Macron arrive, flanqué notamment de Gérald Darmanin, et se livre à un premier bain de foule. « Vous avez sauvé Marseille » ; « On est avec vous ! ». « Ce serait dommage de laisser la réalité gâcher une belle histoire », raille une communicante qui travaille pour un autre camp politique.
« Il vient faire son show, mais ce n’est pas lui qui a chassé les dealers », considère un retraité de la marine nationale, résident du quartier. « Moi je suis venu le soutenir », s’enthousiasme Renée, 67 ans et heureuse de continuer de travailler, derrière sa pancarte « Marseille avec Macron ». Cette gouvernante d’Ehpad habite les Campanules comme sa fille, Marjorie, qui n’est pas du même avis que sa mère : « Je suis venue lui faire plaisir et la prendre en photo avec le président. Mais moi, je suis en invalidité professionnelle, et je ne touche pas de pension parce que mon mari travaille. Mais il est jardinier à la ville, on ne roule pas sur l’or. » Peut-être que l’entrée en vigueur au 1er octobre de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés, votée en juillet dernier, la fera changer de point de vue.
« Un président chez soi, c’est une fois dans sa vie »
Pendant ce temps-là, à la Busserine, dense cité des quartiers nord de Marseille, les policiers ont investi le terrain. Le président doit y tenir dans le gymnase du groupe scolaire « une discussion avec des Marseillais et des Marseillaises ». Une petite foule s’amoncelle autour des barrières délimitant un périmètre autour de l’école. A deux cents mètres de là, sur le square surélevé devenu terrain vague qui leur sert d’ordinaire de « four », l’équipe de dealer est blasée. « Il nous a niqué la journée, Macron. On a dû faire 500 balles », peste l’un d’entre eux en fumant un joint dans un canapé posé à l’ombre des micocouliers sur une défraîchie table de ping-pong en béton.
Pas de recette, pas de salaire. « Le boss a dit, on prend tous vingt balles ». Son bras gauche présente un inquiétant bandage. « Je me suis fait tirer dessus la semaine dernière, la balle a traversé l’avant et détruit les os. Ils m’ont mis un morceau de fer et un plâtre mais je l’ai enlevé », assure-t-il. C’est la première fois qu’il se faisait tirer dessus. « Je vais rentrer à Paris dans dix jours, je crois », lâche le charbonneur, illustrant une tendance observée à Marseille dans les réseaux de trafic de stupéfiants qui emploient de plus en plus de main-d’œuvre extérieure.
Lorsque le convoi présidentiel arrive, quelques « Macron démission », accompagnés du son d’une poignée de casseroles, s’échappent de la foule. Les forces de l’ordre écartent rapidement une dizaine d’entre eux, visiblement employés du groupe scolaire, qui étaient situés à l’intérieur du périmètre. Quatre-cinq autres, de l’autre côté des barrières, tentent de continuer à se faire entendre. Mais la foule de 200 à 300 personnes est définitivement là pour le président qui s’offre un nouveau moment d’embrassades populaire. « Allez, c’est bon, moi je peux rentrer maintenant », souffle une jeune femme voilée portable en main qui a réussi à prendre Emmanuel Macron en photo. « Un président chez soi, c’est une fois dans sa vie ». Et le président, la chemise toujours impeccable, s’en est allé échanger avec des Marseillais.
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