Louis XIV, le musée de l'immigration et l'« étranger »... Vaudeville au Palais de la Porte Dorée
Histoire•Pour sa réouverture, le Musée national de l'immigration a adopté une communication des plus originales pour questionner la notion « d'étranger »Lina Fourneau
L'essentiel
- Trois ans de travaux plus tard, le Musée national de l’histoire de l’immigration a finalement rouvert ses portes samedi 17 juin.
- L’exposition permanente est désormais plus pédagogique. Une réouverture pleine de promesses, entachée assez vite par une polémique.
- Quelques jours avant sa réouverture, la campagne de communication du musée a fait grincer quelques dents. Elle y montre le roi Louis XIV avec l’inscription : « C’est fou tous ces étrangers qui ont fait l’histoire de la France ». 20 Minutes a souhaité en discuter avec l’historien Philip Mansel et auteur de Louis XIV : Roi du monde, aux éditions Passés composés.
Le ciel est menaçant ce mardi au-dessus du Palais de la Porte Dorée, tout près du bois de Vincennes. Il fait lourd et la pluie risque de tomber à tout moment. Il n’empêche, quelques jours après sa réouverture, les visiteurs sont bien présents, sur les marches du Musée national de l’histoire de l’immigration. Deux amies attendent l’heure de leur réservation. « C’est à 15h30 », précisent-elles. Plus que quelques minutes à attendre pour découvrir le musée qu’elles n’ont jamais pu visiter. « Nous y sommes allées une fois, mais c’était fermé ».
Pourtant, cette visite est importante pour les deux amies. « Nous sommes également concernées par cette histoire de l’immigration, donc nous avions envie d’en savoir plus et aussi découvrir des éléments précis sur notre culture d’origine ». C’est justement l'un des enjeux que souhaite porter en priorité le musée pour sa réouverture : un Français sur trois est issu de l’immigration, selon les dernières données de l’Insee. Tous et toutes concernées... Et pourtant la réouverture du musée après trois ans de travaux se sera faite dans la douleur plutôt que dans la joie. Ce n’est pas faute d’avoir repensé et retravaillé en intégralité tout le parcours. A travers les 1.800 m2 dédiés, le visiteur est désormais mieux accompagné grâce à une chronologie plus détaillée et moins floue qu’autrefois.
« Le roi comme symbole de France »
Tout était plutôt bien pensé, sauf sûrement un détail : la communication faite autour de la réouverture du musée. Dans les couloirs du métro parisien, il était difficile de passer à côté. Sur les quais, une affiche en noir et blanc met en scène le roi Louis XIV avec l’inscription suivante : « C’est fou tous ces étrangers qui ont fait l’histoire de la France ». Avec une petite précision supplémentaire : « Mère espagnole, grand-mère autrichienne ». Et très vite, l’affiche fait jazzer sur les réseaux sociaux, surtout auprès de la droite et l’extrême droite. « Délire multiculturaliste à la mode anglo-saxonne », « Même Vichy ne l’aurait pas considéré comme "étranger" », fustige notamment le président du mouvement République souveraine Georges Kuzmanovic sur son compte Twitter.
Il faut rendre au roi ce qui appartient au roi, Louis XIV était bel et bien considéré comme Français. Né en 1638 à Saint-Germain-en-Laye, le futur roi Soleil n’a jamais été considéré comme étranger. « A cette époque, on voyait surtout le roi comme le symbole de la France et ce que c’était d’être Français », souligne l’historien Philip Mansel et auteur de Louis XIV : Roi du monde, aux éditions Passés composés.
« Ce qu’il y a de plus Français en France »
« Au moment de sa naissance en 1638, il y a eu un déferlement de louanges. La France était sauvée, la France avait un dieu donné », décrit Philip Mansel, ajoutant d’ailleurs que les gens effaçaient vite les origines espagnoles de sa mère. « Anne d’Autriche était assez aimée à Paris. Lorsqu’elle était régente, on oubliait un peu qu’elle était étrangère. De leur côté, les Bourbons croyaient qu’ils étaient ce qu’il y avait de plus Français en France ».
Philip Mansel compare surtout cette étiquette « d’étranger » à d’autres personnages de la même époque qui étaient davantage perçus comme tel. Le cardinal Mazarin par exemple. Venu d’Italie, celui-ci gardait même un attachement à son pays d’origine qu’il revendiquait et assumait, notamment par à son accent. « Il était aussi détesté pour sa corruption et sa soi-disant tyrannie », ajoute Philipe Mansel.
Un concept toujours flou
Toutefois, l’utilisation du terme « étranger » a évolué au cours de l’histoire et c’est ce qui fait sa complexité. « A cette époque, un étranger pouvait également venir d’une autre province. La nationalité était assez flexible, assez floue, mais il y avait un sens très fort de ce qu’étaient les Nations d’Europe, même avant la Révolution française. Un Espagnol n’était pas un Français », souligne Philip Mansel. Pour l'historien, le terme étranger dépend surtout de la définition qu’on souhaite lui donner. « Comme "courtisan". Ça peut tout et rien vouloir dire ».
Maladroitement, c’est pourtant l’évolution de ce terme qu’a voulu mettre en lumière le Palais de la Porte Dorée, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. L’exposition permanente choisit de « faire une archéologie du temps présent, en remontant le fil des siècles ». Un temps présent - il faut le dire - bousculé par l’actualité alors que le 14 juin dernier, un navire de migrants a fait naufrage au large de la Grèce, faisant au moins 78 morts. Mais aussi alors que l’agenda politique reconsidère la gestion de l’immigration, avec la future loi présentée par le gouvernement.
L’enjeu de la pédagogie
Au Musée national de l’histoire de l’immigration, le terme « étranger » est surtout présenté comme un fil directeur. Il commence sous l’Ancien Régime, où le musée rappelle que malgré les restrictions imposées, « la France est une grande terre d’immigration ». Il y a aussi les étrangers sous la Révolution française et l’instauration de la « citoyenneté politique » avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en août 1789, mais où les étrangers « demeurent exclus du vote ». Enfin sous la monarchie de Juillet, le panneau rappelle le « tournant important » de la période et l’arrivée de milliers d’exilés politiques européens. Saut dans le temps et une nouvelle aile de l’exposition est consacrée à la période actuelle, « entre hospitalité et fermeté ».
Ce qui importe ici, c’est surtout la pédagogie. Dans les couloirs du musée, les groupes de collégiens en compagnie de leurs professeurs vont et viennent. Matthieu, professeur d’histoire-géographie, accompagne ses élèves, une classe de 4e. Pour lui, c’était important de revenir pour leur présenter le nouveau musée. « Dans le cadre du cours sur la colonisation, l’exposition est intéressante pour illustrer un mieux la théorie grâce aux images et contenus que réservent le musée », se réjouit-il.