Journées de l’archéologie : Identifier les corps des soldats de la Première Guerre mondiale devient une priorité
Mémoire•Une meilleure organisation des autorités permet désormais de prendre en charge plus efficacement les dépouilles retrouvées des soldats de la Guerre 14-18G.D. avec AFP
L'essentiel
- Les autorités se préoccupent de plus en plus du destin de ces soldats disparus et retrouvés à la faveur de grands travaux.
- Une meilleure organisation des services permet désormais de prendre en charge plus efficacement leurs dépouilles.
- Au moins 600.000 hommes morts au front dans le nord de la France lors de la Première Guerre mondiale sont toujours portés disparus, enfouis sans sépulture.
A la recherche des soldats disparus. A l’occasion des journées de l’archéologie qui ont lieu samedi et dimanche, le musée de la bataille de Fromelles, dans le Nord, propose de devenir archéologue d’un jour. Ici, ce n’est ni la préhistoire, ni l’Antiquité qui est mise en avant, mais une période plus récente : la Première Guerre mondiale. En effet, c’est dans cette commune des Flandres qu’a eu lieu, en 2008, une des plus grandes fouilles sur un site de la Guerre 14-18.
Des fosses communes avaient été découvertes et 250 corps de soldats avaient été mis au jour, identifiés pour la plupart et réinhumés, près d’un siècle après leur mort, dans un nouveau cimetière militaire. Depuis cet épisode, les autorités se préoccupent de plus en plus du destin de ces soldats disparus et retrouvés à la faveur de grands travaux. Une meilleure organisation des services permet désormais de prendre en charge plus efficacement leurs dépouilles.
Une centaine de soldats en cours d’identification
La semaine dernière, par exemple, trois soldats canadiens de la Grande Guerre ont été inhumés en grande pompe dans le nord de la France. Portés disparus au front il y a 105 ans, ils ont été retrouvés en 2017 près de Lens, dans le Pas-de-Calais, à l’occasion de la construction du nouvel hôpital. Une centaine d’autres soldats, sortis de terre sur le même lieu, sont en cours d’identification dans les laboratoires de la Commonwealth War Graves Commission (CWGC), organisme veillant aux sépultures des soldats de l’ex-empire britannique.
Et des cadavres, on risque d’en découvrir encore beaucoup ces prochaines années. Au moins 600.000 hommes morts au front dans le nord de la France lors de la Première Guerre mondiale sont toujours portés disparus, enfouis sans sépulture. Longtemps, les ossements régulièrement retrouvés entre la Belgique et Paris ont été discrètement évacués.
Mais le CWGC est doté depuis deux ans d’anthropologues basés dans le nord de la France. Ils sont chargés de récupérer les corps et les éventuels éléments d’identification. Côté français, une anthropologue a également été recrutée récemment par l’Office national des Anciens combattants.
« On a construit un réseau dans le monde du BTP, du déminage, la police pour être notifiés des découvertes fortuites », souligne Stephan Naji, responsable de l’unité de récupération de la CWGC. Ce service prend en charge 40 à 60 corps chaque année, découverts lors de travaux agricoles ou de chantiers, comme les éoliennes.
Comme dans la série Les Experts
« Nous nous efforcerons d’identifier le plus possible d’entre eux, et de retrouver leurs familles. C’est une occasion brève mais cruciale », souligne Claire Horton, directrice de la CWGC. Car si le passage du temps rend la tâche plus complexe que dans la série télévisée Les Experts, certaines dépouilles retrouvées peuvent être identifiées, notamment par des tests ADN.
Ces analyses restent rares pour les combattants français, mais certains pays comme la Grande-Bretagne, le Canada ou l’Australie n’hésitent pas à se lancer parfois dans une recherche généalogique pour identifier des descendants, explique la CWGC.
Une telle identification prend plusieurs années. Mais en cas de succès, elle mène à une cérémonie militaire dans le cimetière du Commonwealth le plus proche, à laquelle sont invités les descendants. Lorsqu’il est impossible de le sortir de l’anonymat, le soldat est réinhumé avec les honneurs, sous une stèle gravée de l’épitaphe « connu de Dieu seul ».
D’autres méthodes d’identification plus classiques sont encore en vigueur. Boutons d’uniforme, insignes d’épaulettes et badges régimentaires constituent les premiers indices, ainsi que les gourdes ou sifflets portant le nom de l’unité militaire. Mais tout doit être recoupé : certains soldats échangeaient leur badge en signe de camaraderie, ou récupéraient des équipements de frères d’arme, comme les bottes australiennes, réputées de bonne qualité.
Dégager des indices pour retrouver l’identité
Les objets personnels - rasoir, fourchette, montre… – sont nettoyés avec soin pour dégager de possibles indices : poinçon industriel indiquant date ou lieu de fabrication, initiales gravées etc. Si le pays d’origine est confirmé, les informations sont transmises aux autorités de ce pays, qui épluchent alors leur liste de disparus pour comparer les données.
Des dizaines, voire des centaines d’autres soldats pourraient ainsi être exhumés lors du creusement du canal Seine-Nord qui ralliera d’ici 2030 Compiègne, dans l’Oise, à Cambrai dans le Nord, courant sur 107 km dont une centaine le long de la ligne de front. A tel point qu’un nouveau cimetière de 1.200 places est en cours de construction à Loos-en-Gohelle, jouxtant le cimetière britannique actuel.
Quant à l’Allemagne, le pays semble aussi désormais s’intéresser de près à ses soldats disparus de la Première Guerre mondiale. En revanche, l’organisme allemand, le VDK (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge), se heurte à un obstacle de taille pour l’identification.
« Pendant la Grande Guerre, la consigne était d’enlever la plaque d’immatriculation des soldats décédés quand c’était possible, raconte un historien allemand qui préfère rester anonyme. C’est pourquoi il est parfois difficile d’identifier les corps. » Néanmoins, le VDK, avec l’appui de la CWGC, pourrait participer, dans les mois à venir, à des recherches archéologiques spécifiques dans le Pas-de-Calais.
Un chantier abandonné pour cause de mobilisation
Reste que le sujet est toujours sensible. En 2017, un article de 20 Minutes avait soulevé l’indignation en Australie. Des éoliennes devaient être construites sur un site de mémoire australien, près d’Arras, dans le Pas-de-Calais. Face à la mobilisation de l’autre bout du monde, le projet avait finalement été abandonné par Engie.
Sur ce secteur, près de 2.500 corps ont déjà été retrouvés depuis la fin de la guerre 14-18. Or, il en reste entre 3.000 et 4.000 ensevelis sous les 4 km2 du champ de bataille. Et on soupçonne la présence de plusieurs fosses communes, comme celles découvertes à Fromelles, dans le Nord, en 2008.
En plus de profaner un site mémoriel, le risque était grand de tomber sur des corps de soldats lors du chantier. La preuve, deux ans plus tard, en 2019, sur ce même ancien champ de bataille, des fouilles menées par une équipe d’archéologues britanniques pour retrouver un char étaient directement tombées sur trois corps de soldats allemands.