EDUCATIONUne heure de sensibilisation au harcèlement scolaire, est-ce efficace ?

Harcèlement scolaire : Une heure de sensibilisation pour les collégiens, coup de com ou vraie solution ?

EDUCATIONPap Ndiaye a demandé aux principaux de collège d’organiser cette séance cette semaine
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Mis sous pression par la famille de Lindsay, une adolescente qui a mis fin à ses jours en mai dans le Pas-de-Calais, le gouvernement a annoncé la semaine dernière que la lutte contre le harcèlement serait la « priorité absolue » de la rentrée 2023.
  • Tous les collégiens de France devront suivre cette semaine une heure de sensibilisation sur « le harcèlement et réseaux sociaux », a indiqué dimanche le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye.
  • Mais la communauté éducative estime que ce dispositif va être mis en œuvre dans la précipitation, alors même qu’il existe déjà des moments de sensibilisation pendant l’année, construits avec des experts du sujet.

Réagir face au choc de la mort de Lindsay, qui a mis fin à ses jours en mai, dans le Pas-de-Calais, après avoir été harcelée au collège. Le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a demandé vendredi aux principaux des 7.000 collèges du pays d’organiser une heure de sensibilisation à ce sujet cette semaine pour leurs 3,4 millions d’élèves.

« Cette heure sera l’occasion de rappeler la manière dont l’usage des réseaux sociaux peut accentuer les phénomènes de harcèlement » , a souligné le ministre. Une annonce qui a suscité des réactions mitigées : « Toute sensibilisation est importante. Mais cela ne s’improvise pas. Elle doit être contextualisée en fonction du climat scolaire dans l’établissement, de l’âge des élèves… », nous explique Nora Fraisse, fondatrice de l’association « Marion, la main tendue » pour la prévention et la lutte contre les violences et le harcèlement en milieu scolaire.

« Une opération de communication »

La soudaineté de la demande a irrité les principaux des collèges : « Ils sont assez en colère, car c’est trop précipité. On est à 15 jours du brevet et les enseignants ont parfois organisé des semaines de révisions. C’est aussi une période de conseils de classe », indique à 20 Minutes Laurence Colin, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale (SNPDEN). Dans un communiqué diffusé ce lundi, la FCPE s’interroge aussi : « Qui va assurer cette heure de sensibilisation en plein cœur du mois de juin, alors que l’année scolaire se termine ? Avec quels outils ? Avec quelle formation ? » Pour contrer ces critiques, Pap Ndiaye réunira mardi, en visioconférence, les 14.000 chefs d’établissement (collèges et lycées), ainsi que les inspecteurs de l’Education nationale (IEN) ou les recteurs, pour leur « rappeler l’ensemble des leviers à leur disposition » et « recueillir leurs remontées de terrain ».

Selon Laurence Colin, cette heure de sensibilisation est avant tout « une opération de communication », d’autant plus mal perçue par les principaux de collège « qu’elle pourrait laisser croire qu’ils n’informent pas les élèves sur le sujet au cours de l’année ».

Beaucoup de sensibilisation déjà

Pourtant, depuis la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement pHARe a été généralisé à tous les collèges et toutes les écoles élémentaires. Selon le ministère de l’Education, en mai dernier, 86 % des collèges et 60 % des écoles y étaient déjà inscrits. Il prévoit notamment la création d’une équipe formée à ces questions (composées de CPE, d’AED et d’enseignants) dans chaque établissement, mobilisable lorsque des cas de harcèlement se font jour. Par ailleurs, 10 élèves ambassadeurs sont nommés dans chaque collège. Formés au repérage de situations problématiques, ils connaissent aussi la procédure pour les signaler. Le programme prévoit également 10 heures par an consacrées à la prévention du harcèlement et au développement des compétences psychosociales. « Cela peut être des ateliers, des débats avec les élèves, des mises en situation… », explique Nora Fraisse. Pour faire des piqûres de rappel aux élèves, trois temps forts sont aussi programmés pendant l’année scolaire : la journée non au harcèlement, le prix non au harcèlement et le Safer Internet day.

« Nous organisons ces moments de sensibilisations avec des associations agrées par l’Education nationale et formées sur ces questions. Elles ne sont donc jamais improvisées », souligne Laurence Colin. Et selon Nora Fraisse, ce travail paye : « Quand l’équipe pHARe est au complet et que tous les temps de réflexion sont proposés, cela a un vrai impact sur le climat scolaire. »

D’autres mesures réclamées

Pour améliorer la prévention, les acteurs de la communauté éducative estiment qu’il faudrait surtout lui octroyer davantage de moyens : « Il faut continuer à former les enseignants pour qu’ils puissent identifier les signes inquiétants. Il faut aussi recruter massivement des infirmiers scolaires pour qu’il y en ait au moins un par établissement », estime Laurence Colin. De son côté, la FCPE réclame « des fonds dédiés afin de financer des projets de prévention, qui ont déjà fait leurs preuves, à l’échelle de chaque département ». Mais aussi des accords avec les GAFA afin que les algorithmes identifient les déferlements de haine…



Pap Ndiaye a annoncé la semaine dernière des moyens accrus pour les plateformes d’alerte et d’écoute sur le sujet, le 3020 (pour les familles et victimes) et le 3018 (sur le cyberharcèlement). Mais cela n’est pas encore suffisant, selon Nora Fraisse, qui estime nécessaire de renforcer aussi les dotations pour les associations comme la sienne, que les parents contactent souvent lorsque leur enfant est en détresse : « On a reçu plus de 8.300 appels cette année alors que nous ne sommes que 4 salariés et 30 bénévoles », souligne-t-elle.