automobileTavares laisse les salariés de Stellantis avec une batterie de questions

« Des métiers vont disparaître »… Carlos Tavares laisse les salariés de Stellantis avec une batterie de questions…

automobileLe patron de Stellantis visitait l’usine automobile de Rennes où sera construite la prochaine Citroën électrique en 2025
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • Le grand patron du groupe Stellantis (ex-PSA) Carlos Tavares a visité l’usine de Rennes où sera produit un futur véhicule électrique Citroën.
  • L’usine, qui a vu ses effectifs fondre au fil des années, espère profiter de l’abandon des voitures thermiques neuves en 2035 en Union européenne.
  • La question du coût de fabrication de ces véhicules est au cœur des préoccupations du patron mais aussi des salariés, qui craignent pour leur activité.

Il n’avait pas mis un pied dans l’usine de Rennes depuis 2018. Carlos Tavares n’était alors « que » le patron d’un groupe PSA qu’il commençait tout juste à relever. Désormais à la tête de Stellantis, l’homme dirige un véritable empire de l’automobile qui réunit 14 marques internationales parmi lesquelles Peugeot, Citroën, Fiat, Dodge, Opel, Chrysler ou encore Maserati. Autant dire que l’ancien numéro 2 de Carlos Ghosn chez Renault pèse lourd quand il pose son regard sur ce secteur industriel ultra-concurrentiel.

Jeudi, celui qui se décrit comme « un psychopathe de la performance » visitait l’usine historique de la Janais, à Chartres-de-Bretagne, près de Rennes. Un site emblématique de Citroën qui a fait travailler plus de 12.000 personnes mais a failli fermer ses portes en 2015.

Connue pour avoir produit l’Ami 6, la BX ou encore la 407, la Janais façonne aujourd’hui la Citroën C5 Aircross et la Peugeot 5008 avec un peu plus de 2.000 salariés rescapés des plans sociaux. Et après ? L’usine a reçu l’assurance d’accueillir un nouveau véhicule en 2025 pour un virage technologique d’ampleur : la future Citroën sera 100 % électrique. Pas suffisant pour rassurer les équipes.

« J’ai félicité les équipes pour les progrès extraordinaires »

Ne demandez pas à Carlos Tavares de vous dire ce que deviendront ses usines françaises. Même s’il le savait, le patron de Stellantis ne vous dirait rien, préférant noyer sa réponse dans une mise en contexte internationale, évoquant tantôt le dynamisme du marché brésilien, tantôt les choix de l’Union européenne de miser sur l’électrique (qu’il conteste vivement). Face aux questions des salariés rennais, inquiets de n’avoir bientôt qu’un véhicule pour faire tourner leur outil de production, le big boss est resté évasif. « Cette usine joue un rôle essentiel pour la marque. Elle a fait les plus belles Citroën de l’histoire. J’ai félicité les équipes pour les progrès extraordinaires réalisés ici. Sur la qualité, nous avons atteint nos objectifs mais sur le plan économique, on n’y est pas encore ».

Bien, mais peut mieux faire. Dingo de la performance, le grand patron préfère les chiffres de rentabilité affichés par les sites espagnols du groupe. Le site travaille à se compacter pour limiter ses consommations énergétiques, qui ont flambé l’an passé. Un parc photovoltaïque et une centrale biomasse viendront aider à réduire la consommation de gaz et d’électricité. Un investissement sur le long terme qui donne un gage de confiance pour l’avenir du site.



D’ici quelques mois, l’usine rennaise récupérera l’entièreté de la production de la 5008, qu’elle partage aujourd’hui avec Sochaux. Et après ? Comme son homologue du Doubs, elle prépare l’arrivée d’un futur véhicule électrique sur une nouvelle plateforme unique au monde. Stellantis investira 160 millions d’euros pour mettre l’usine « à jour » notamment par la création d’un atelier d’injection plastique. « J’ai confiance dans les équipes. La nouvelle ligne aura un niveau technologique très élevé. Elle devra être plus compacte et limiter la logistique interne pour éviter les coûts annexes. J’ai vu les plans et ça me paraît très bien », explique Carlos Tavares. « Avec quels effectifs ? », ont demandé les syndicats. « C’est impossible d’y répondre. Nous évoluons dans un monde chaotique, instable sur le plan géopolitique. Je ne suis qu’un acteur économique », répond le patron du groupe. Difficile à avaler quand on scrute le tableau de résultats du groupe qui a réalisé 179,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022 (+16 %).

La voiture électrique, oui mais à quel prix ?

Positionnée sur un segment haut de gamme, l’usine de la Janais a vu sa production se réduire d’année en année, pour atteindre le maigre chiffre de 71.700 véhicules l’an dernier. Après avoir tout changé pour s’adapter, la voilà encore contrainte de se métamorphoser pour se dédier à l’électrique. « Il y a des métiers qui vont disparaître », prévient le dirigeant, avant de rassurer. « Il y en a d’autres qui vont être créés ».

Annoncé comme « un véhicule familial haut de gamme », ce futur électrique baptisé « CR3 » ne sera pas à la portée de toutes les bourses. Combien seront produits en Bretagne ? Impossible de le savoir. « Carlos Tavares est venu les poches vides, pas de scoop. Comme d’habitude il attend toujours plus des salariés mais en donnant le minimum », estime Laurent Valy, secrétaire de la CFDT, syndicat majoritaire du site.

En développant sa propre plateforme presque entièrement dédiée à l’électrique, la Janais pourrait sortir gagnante sur le marché européen, qui bannira les moteurs thermiques dès 2035. Le problème est de savoir comment le marché accueillera sa future voiture familiale. Aujourd’hui, un véhicule électrique coûte 40 % plus cher à fabriquer. « Et aucun client n’acceptera de payer 40 % de plus », prévient Carlos Tavares. Il appartiendra sans doute aux gouvernements de soutenir leur industrie, sous peine de voir la production quitter l’Hexagone. Et plonger la Janais dans un avenir bien sombre.