« Uber Files » : Comment rendre plus transparent le travail des lobbies ?
Opaque•En quête de transparence, la HATVP doit faire évoluer son registre des représentants d’intérêts, estime des députésXavier Regnier
L'essentiel
- Au moment où s’ouvre la commission parlementaire sur les « Uber Files », une « mission flash » à l’Assemblée nationale livre ses travaux sur la transparence du lobbying.
- Principal trou dans la raquette, les représentants d’intérêts ne doivent se déclarer que lorsqu’ils sont à l’initiative d’une rencontre avec un député ou un ministre. Pas idéal pour « créer de la confiance », souligne la députée PS Cécile Untermaier.
- Nombre de rencontres pour se déclarer, texte de loi abordé, fréquence des déclarations, les pistes sont nombreuses pour gagner en clarté et en déontologie.
Opération transparence sur les discussions d’arrière-salle. Alors que s’ouvre ce jeudi la commission parlementaire sur les « Uber Files », du nom de l’enquête du Monde qui dévoilait les liens entre Emmanuel Macron et la plateforme de VTC à l’époque où il était ministre de l’Economie, une « mission flash » à l’Assemblée nationale a rendu mercredi ses conclusions sur l’efficacité de la loi Sapin-2. Au même moment, le président du Sénat Gérard Larcher mettait en demeure le lobbyiste Phytéis, représentant 19 fabricants de pesticides, pour avoir « manqué à son devoir de probité » dans ses contacts avec les sénateurs. Une première depuis 2016.
Entre corruption, intérêts industriels et apport à l’élaboration de lois, vouloir mettre de la lumière dans la pénombre du lobbyisme pourrait revenir à marcher sur des œufs. Une image que Cécile Untermaier, députée PS co-rapporteuse de la « mission flash », veut balayer. « Tout le monde » est favorable à plus de transparence, explique-t-elle à 20 Minutes, y compris les « représentants d’intérêts ». « On ne fait pas la chasse aux lobbies », défend l’élue de Saône-et-Loire, qui défend un « moyen de créer de la confiance ».
Des rencontres sous le radar
Il faut pour cela améliorer l’outil existant : un registre, mis en place par la loi Sapin 2, sur lequel doivent s’inscrire les représentants d’intérêts « qui ont sollicité au moins 10 fois dans l’année les décideurs publics », récite Guillaume Courty, professeur de sciences politiques à l’Université de Picardie-Jules Verne. Mais la raquette est pleine de trous et « produit une vision floue et partiellement tronquée » des lobbyistes. « Il faut faire en sorte qu’il n’y ait plus de zone aveugle », prône-t-il.
Première « difficulté majeure », identifiée par Cécile Untermaier, les représentants ne doivent se signaler que lorsqu’ils sont à l’initiative des rencontres, et à une fréquence trop basse. Ainsi, « ceux qui ont leur rond de serviette auprès du décideur » passent sous le radar, à l’image des patrons d’Uber dans le répertoire d’Emmanuel Macron. Pour corriger le tir, l’élue comme le chercheur préconisent de noter la rencontre « quelle que soit la personne » qui l’initie. Ils plaident aussi pour que l’objet de la rencontre soit noté. La députée de Saône-et-Loire prend ainsi l’exemple de parties prenantes sur les néonicotinoïdes. « On ne demande pas de dire ce qu’ils ont défendu, mais de signaler qu’ils ont été reçus sur ce texte ». Car dans certains ministères, l’identité des représentants peut vite devenir opaque. « Si on veut savoir qui a influencé la loi sur les retraites, c’est presque mission impossible », image Guillaume Courty.
« Simplifier, fluidifier et rendre plus opérant »
La barre de 10 rencontres est aussi critiquée. « Une imprécision dans la loi permet à une personne morale de passer sous cette exigence si chaque personne qui la représente fait moins de 10 actions », selon Cécile Untermaier. Prenant en exemple une entreprise comme TotalEnergies, elle estime qu’il faut « agir au niveau du groupe ». Guillaume Courty note également que « les organisations sont mal référencées », les associations professionnelles faisant virtuellement monter la part des associations. Une confusion qui pourrait devenir dangereuse, estime-t-il.
En effet, le registre tenu par la HATVP doit aussi bientôt concerner les collectivités territoriales. Et en admettant qu’on note les rencontres, peu importe qui en a l’initiative, il y aurait un « problème » à confondre un « chargé d’affaires publiques », qui viendrait défendre et proposer le choix d’une entreprise (par exemple sur le ramassage des ordures), et le « juriste spécialiste des marchés publics » qui viendrait apporter son expertise sur le contrat. « La pédagogie est difficile » mais revêt un enjeu majeur dans la transformation de l’outil, avertit le chercheur.
« Le lobbying n’est pas une mauvaise chose en soi, au contraire on a besoin d’un point de vue qui vient enrichir la réflexion du législateur », souligne Cécile Untermaier. Pour Guillaume Courty, c’est aussi une question de mots : si les gens sont réticents au terme « lobby », ils « font confiance à des organisations représentatives pour défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics ». Mettre à jour les outils à disposition de la HATVP permettrait ainsi de « simplifier, fluidifier et rendre plus opérant le dispositif », soutient la députée PS, pour qui la « déontologie » doit devenir le maître-mot.