Aisne : « Notre seule présence dérange », une journée avec les militants anti-chasse à courre d’Ava
Chasse•Engagés bénévolement pour dénoncer et demander l’interdiction de la chasse à courre, les militants du collectif Ava ont accepté que « 20 Minutes » accompagne une équipe en forêt de Retz pour la dernière action de la saisonMikaël Libert
L'essentiel
- La saison de chasse à courre se terminait vendredi et ne reprendra qu’en septembre.
- Une dernière chasse était organisée en forêt de Retz par l’équipage de Villers-Cotterêts.
- Nous avons pu suivre cette chasse avec une équipe de militants du collectif « Abolissons la vénerie aujourd’hui » (Ava).
Tradition ancestrale et polémique. Au XVIe siècle, François 1er a donné ses lettres de noblesse à la pratique de la vénerie à cheval, aussi appelée chasse à courre. Si aujourd’hui ce loisir particulier revendique encore « 10.000 pratiquants et 100.000 sympathisants » en France, la seule pétition de la Fondation 30 millions d’Amis pour en demander l’interdiction approche les 300.000 signatures. Parmi les opposants à la vénerie, on retrouve des citoyens plus impliqués que les autres : les militants du collectif « Abolissons la vénerie aujourd’hui », dit Ava. Vendredi, 20 Minutes a suivi une de leurs équipes au cours d’une action lors de la dernière journée de la saison de chasse à courre dans l’Aisne.
Notre contact s’appelle Mika, et nous devons le retrouver devant la gare de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, à 11h45. Arrivés un peu en avance dans le secteur, nous nous arrêtons dans le petit village de Longpont pour y prendre un café au bar de l’hôtel de l’Abbaye. Sans le savoir, c’est au QG de l’équipage de chasse à courre de Villers-Cotterêts que nous venons d’entrer, ce même équipage que les militants d’Ava vont pister tout au long de l’après-midi. « Je suis Henri D’Aillières, le maître d’équipage. Les gens d’Ava m’appellent le baron », se présente à nous très courtoisement un grand gaillard. Il ne perdra même pas son sourire lorsque nous déclinons sa proposition de suivre la chasse avec lui, attendus que nous sommes par ses opposants. « C’est dommage, vous n’aurez que leur version », lance tout de même un septuagénaire prénommé Benoît, qui s’avérera être une sorte de porte-parole de la vénerie.
« C’est par ce que vous êtes là qu’ils ne font rien »
A l’heure prévue, nous retrouvons les militants, faciles à reconnaître grâce à leurs tenues vert kaki. Ils sont cinq pour l’instant, âgés de 27 à 62 ans. Quatre autres nous rejoindront sur place, en forêt de Retz. Devant un café, ils font un rapide briefing pour déterminer les équipes : deux en voitures et deux à pieds. GoPro, téléphones, radios : « Depuis que j’ai commencé avec Ava, il y a trois ans, on est beaucoup mieux organisés », reconnaît Mika, qui est policier dans la vraie vie. Un quart d’heure plus tard, nous voici lâchés au beau milieu des bois, route du Pendu, en compagnie de Raphaël et David. La meute vient d’être lâchée et les cavaliers se mettent en route. « D’habitude, on ne peut pas s’approcher autant, c’est parce que vous êtes là qu’ils ne font rien », s’étonne David avant d’interpeller le fameux Benoît. « Tu m’as traité de connard la dernière fois et là tu ne dis rien », lui lance-t-il. « Tu plaisantes, c’est toi qui m’as agressé », lui rétorque le septuagénaire. Ambiance.
Les chasseurs sont plutôt cordiaux, lançant à notre petit groupe des bonjours et des saluts. « C’est incroyable, vous devriez venir à chaque fois. Ils ont été briefés, il ne se passera rien aujourd’hui », se réjouit Raphaël, encore incrédule. On s’enfonce dans les bois pour tâcher de suivre l’équipage. Commence alors une randonnée qui durera tout l’après-midi, dans la boue, sous la pluie et le vent. Alerte spoiler, à la fin de la chasse, on aura tout de même marché 16 bornes… « Regardez, là, une harde », crie soudain David, pointant le sous-bois dans une direction à peine à 50 mètres de nous. Aux trousses des animaux, la meute hurlante, suivie de près par les cavaliers. « Ils ont choisi leur cerf, ils ne vont plus le lâcher », explique-t-il tout en envoyant les infos aux autres équipes. Selon lui, il s’agit d’un jeune mâle, deux ans tout au plus. Le rôle des militants est alors de coller au plus près de la chasse jusqu’à sa conclusion. « On ne peut pas perturber la chasse, c’est interdit, mais notre seule présence les dérange, ils ne supportent pas qu’on filme », assure David.
« Ce n’est pas notre cerf, on l’a perdu pour l’instant »
Logiquement, notre groupe est vite largué. Mais grâce à un logiciel de cartographie alimenté par les militants sur place, nous pouvons suivre l’évolution de la chasse et tâcher de recoller à la meute. Tout en marchant, Raphaël nous explique son engagement : « Je ne suis pas anti-chasse, ce sont les excès qui me posent problème, assure-t-il. Et la vénerie est une pratique excessive ». Pareil pour David : « Il y a des chasseurs dans ma famille, j’ai mangé du gibier pendant toute mon enfance. Sauf que je ne conçois pas que l’on puisse faire du mal à une bête », reconnaît-il. Mika non plus n’est pas un ayatollah de la cause, mais son problème avec la chasse s’est accentué après un événement particulier : « Un jour, je faisais des photos animalières lorsqu'un chasseur à tir a abattu un des plus beaux cerfs de la forêt à seulement quelques mètres de moi », se souvient-il.
A la croisée de chemins, alors que l’on fait désormais équipe avec Mika, nous tombons sur un cavalier qu’il connaît bien. D’ailleurs tous se connaissent, grâce aux chasses ou tout simplement parce qu’ils sont voisins ou collègues de travail. « Tout se passe bien avec la plupart d’entre eux, seuls certains nous font des histoires », nous confiait David un peu plus tôt. Une autre harde passe au loin, franchissant un chemin devant le nez de deux chasseurs qui ne bronchent pas. « Ce n’est pas notre cerf, on l’a perdu pour l’instant », lance le cavalier avant de tourner bride. « On ne va pas le suivre, peut-être qu’il cherche à nous induire en erreur », se méfie Mika.
Une info d’une autre équipe arrive sur le téléphone de notre guide. « La meute a franchi un pont pour animaux et traversé la nationale », résume Mika. On rejoint alors la route la plus proche et Jenny, une militante, nous récupère en voiture pour foncer vers l’endroit, à plusieurs kilomètres de notre position. Lorsque l’on arrive, des dizaines de voitures de suiveurs encombrent le bas-côté de la nationale. Cavaliers et chiens trottent sur la chaussée toujours ouverte à la circulation. « C’est aussi ça qui pose problème, ils ne se soucient pas des autres usagers ou du Code de la route », peste Mika. Plus loin, un chien seul erre au milieu de la nationale, manquant de se faire percuter par plusieurs voitures. Un cavalier tente difficilement de lui faire reprendre le bon chemin. « Il y a quelque temps encore, ils s’en foutaient et laissaient les chiens perdus jusqu’en fin de journée avant de les récupérer », assure le militant.
« Fin de chasse, cerf vivant »
Au bout d’une plaine, on aperçoit la meute et quelques cavaliers entrer à nouveau dans la forêt. Pas de trace du cerf. On tente néanmoins de suivre la troupe avec les infos qui tombent et en observant le comportement des suiveurs. Tout le monde semble un peu largué, y compris une bonne partie de l’équipage. Alors que l’on remonte un chemin en tous points pareil à mille autres chemins, un cavalier s’approche. « Bah alors, vous ne savez même pas que la chasse est finie », lance-t-il, moqueur, avent de s’enfoncer dans le bois. « C’est peut-être un mensonge pour qu’on lâche l’affaire », juge Mika. Sauf qu’une autre équipe d’Ava nous confirme l’info. Il est presque 17 heures, « fin de chasse, cerf vivant », se réjouit-il. C’est une victoire pour Ava et pour le cerf, qui gagne un sursis de six mois.
On a encore pas mal de route à faire dans la forêt avant de récupérer une voiture et pouvoir retourner au café de la gare de Villers-Cotterêts pour le débriefing. Mais l’ambiance est beaucoup plus détendue que ce matin. L’équipe d’Ava Retz va pouvoir reprendre une vie normale jusqu’à la reprise de la chasse, en septembre. Leur engagement n’est pas de tout repos, deux fois par semaine pendant la moitié de l’année à courir après les chasseurs. Et malgré tout leurs efforts, rien ne laisse penser que leur cause sera un jour entendue par le gouvernement. « La vie est un combat, si nous laissons tout faire, jamais les choses ne changeront », insiste Jenny.