« Le dialogue est compliqué »… En Bretagne, les teufeurs n’aiment toujours pas la publicité
Dialogue de sourds•La préfecture tente d’encadrer l’organisation des rave parties qui se déroulent chaque week-end sur des terrains ruraux, au grand dam des riverainsCamille Allain
L'essentiel
- La mise en place d’un groupe de travail censé améliorer la communication entre les autorités et les organisateurs de rave party n’a pas donné satisfaction.
- En Bretagne, on estime que « deux à quatre teufs » se déroulent chaque week-end.
- Les autorités aimeraient davantage encadrer ces événements mais n’arrivent pas à convaincre les organisateurs de se déclarer.
Ils nourrissaient l’espoir de nouer un début de dialogue. Cinq mois après un premier rencard organisé dans les salons de la préfecture, il semblerait que l’histoire commune tentée par le préfet de Bretagne et les organisateurs de teufs mette un peu de temps à s’écrire. En octobre, Emmanuel Berthier avait convié plusieurs collectifs connus pour encadrer des rave parties dans l’Ouest pour discuter. Autour de la table, des maires, le procureur, des gendarmes et quelques amateurs de gros son. L’objectif de cet improbable groupe de travail était alors clair : référencer des terrains capables d’accueillir les murs d’enceintes pour une ou deux nuits afin de « mieux répartir la fête » sur le territoire. Plus clairement : disperser les nuisances afin d’éviter que ce ne soit toujours les mêmes riverains qui ne soient privés de dodo. Pour cela, il fallait convaincre les organisateurs de déclarer leur soirée en amont. Pas simple mais l’espoir des autorités de voir ce « Airbnb de la teuf » déboucher était grand. Celui des maires ruraux confrontés au problème l’était tout autant. Mais cinq mois après ce premier « date », le résultat n’est pas encore probant.
D’après les chiffres communiqués par la préfecture, on compte chaque week-end « entre deux et quatre raves en Bretagne ». Un chiffre plutôt stable, qui a même eu tendance à grossir après les confinements liés au Covid-19. Preuve que le Nouvel an à Lieuron et le déroulé dramatique de la rave de Redon n’ont pas refroidi les teufeurs. Ces deux événements très médiatiques ont en revanche bien rafraîchi les relations déjà pas simples entre le monde de la teuf et les autorités. Le rencard du 6 octobre n’a visiblement rien changé. Car depuis cette réunion, « zéro déclaration » sont arrivées sur le bureau du préfet. Légalement, il est pourtant obligatoire de déclarer tout événement susceptible d’accueillir au moins 500 personnes. « Les contrevenants ne risquent pas grand-chose », reconnaît le procureur Philippe Astruc, qui travaille depuis janvier sur la question législative pour encadrer ces rassemblements.
Les organisateurs se méfient
Lors de cette fameuse réunion, les organisateurs avaient déjà émis quelques doutes quant à la volonté de leurs pairs de se faire connaître auprès de l’administration. « A chaque fois qu’on a fait une demande officielle, on s’est retrouvés avec des flics qui bloquaient tous les accès », nous expliquait Paul en octobre.
Cette tentative de réconciliation serait-elle un échec ? Il est trop tôt pour le dire. « Le dialogue est compliqué. C’est à nous de convaincre les organisateurs de se manifester. Notre objectif, c’est de limiter l’exaspération des riverains mais aussi de pouvoir sécuriser ces fêtes afin qu’elles aient le moins de dommages possibles », explique le préfet Emmanuel Berthier. « Il ne faut pas enterrer le projet. Je trouve cela dur de remettre la faute sur les organisateurs. Car s’ils veulent déclarer leurs soirées, les jeunes doivent avoir un lieu. Or, à chaque fois qu’ils en cherchent, on leur dit non », tempère Samuel, directeur de l’association Freeform. Un groupe de travail sera créé en mars pour se pencher sur la question de l’occupation des terrains, précise la préfecture.
Ce dernier insiste sur « la gestion dans l’urgence » qu’implique l’organisation des soirées sauvages. Après « un jeu du chat et de la souris », les gendarmes et plus rarement les policiers restent en général à bonne distance du rassemblement. A Redon, leur intervention avait créé le chaos et un jeune homme avait eu la main arrachée. En temps normal, le rôle des forces de l’ordre se limite souvent à la sécurisation des accès et au contrôle de ceux qui tenteraient de conduire sous l’empire de l’alcool, des drogues ou d’un cocktail mélangeant les deux. Le problème d’une déclaration en amont se pose en quelques mots : qu’est-ce que les teufeurs auraient à y gagner ?
« Le phénomène est bien là, qu’il plaise ou non »
Pour décoincer cette situation, le procureur de la République que « tout le monde fasse un pas de côté ». « Le milieu des teufeurs, les maires, l’État… Tout le monde doit faire cet effort. Car le phénomène est bien là, qu’il plaise ou non », prévient Philippe Astruc. Dans l’ouest de la France, il est même particulièrement bien implanté. Et ne semble pas prêt à baisser le son.