Réforme des retraites : Pourquoi les manifestations parisiennes sont-elles moins tendues qu’avant ?
MAnif'•Alors que se tient ce samedi la quatrième journée de mobilisation, les incidents sont très limités depuis le début du mouvementCaroline Politi
L'essentiel
- Une quatrième journée de mobilisation contre la réforme des retraites est prévue ce samedi. Pour l’heure, peu de débordements ont été constatés.
- Pour beaucoup, à commencer par les syndicats, ce calme relatif est en grande partie lié à l’arrivée du nouveau préfet de police de Paris, Laurent Nuñez.
- La préfecture, elle, met en avant l’application du nouveau schéma du maintien de l’ordre, entré en application à la fin de l’année 2021.
C’était, ces dernières années, devenu une image récurrente des manifestations parisiennes : des affrontements en fin de cortège entre les forces de l’ordre et des blacks blocs, des dégradations de banques ou de vitrines de magasins le long du parcours. « C’était », car ce n’est plus. Ou plutôt bien moins. Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, malgré une très forte mobilisation, peu d’incidents sont venus ponctuer les cortèges dans la capitale. Les heurts, sporadiques, ont à chaque fois été rapidement maîtrisés, et à l’exception notable d’un manifestant grièvement blessé après avoir reçu un coup de matraque à l’entrejambe, les scènes de violence sont restées relativement rares.
Comment expliquer ce changement de physionomie dans les cortèges ? Et ce, alors même que les autorités ont constaté la présence de près de 2.000 « ultrajaunes » - les éléments les plus véhéments du mouvement des gilets jaunes – et de 200 à 300 blacks blocs lors des précédentes manifestations ? « Ils pourraient être légèrement plus ce samedi », glisse d’ailleurs une source préfectorale haut placé. Pour de nombreux observateurs, ce calme relatif est en grande partie lié à l’arrivée du nouveau préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, en juillet dernier, en remplacement du très décrié Didier Lallement.
« Ça allège un peu l’ambiance »
Si le nombre de policiers et de gendarmes engagés est peu ou prou le même – ils seront 4.000 dans la capitale ce samedi – le déploiement est moins visible qu’auparavant. Les unités sont désormais postées dans les rues adjacentes, le système de « nasse » – une méthode d’encerclement des manifestants –, très employé ces dernières années, n’a pour ainsi dire pas été utilisé. A la préfecture de police, on reconnaît une volonté « d’invisibilisation » des forces de police tout en rejetant l’idée d’un changement de doctrine. « Si ça venait à partir en cortège sauvage comme ça a été le cas en 2019, évidemment que nous interviendrions de la même manière », assure cette même source.
« La foule est encadrée mais d’un peu plus loin, cette discrétion donne le sentiment d’être moins sur le qui-vive, ça allège un peu l’ambiance », analyse le sociologue Christian Mouhanna, chercheur au CNRS spécialisé dans les organisations policières. On a ainsi très peu vu dans les cortèges les Brav-M, cette emblématique unité à moto créée en pleine crise des « gilets jaunes » pour intervenir rapidement. A l’inverse, un itinéraire bis est à chaque fois défini pour rediriger le cortège en cas de début d’échauffourées ou de tensions naissantes. Des agents de liaisons, au sein même du cortège, permettent de faire remonter rapidement les informations et d’expliquer aux centrales syndicales les manœuvres en cours.
Un travail en amont est également effectué : lors des trois derniers jours de mobilisation, quelque 2.000 contrôles préventifs avaient été menés. « Il ne faut pas oublier que Nuñez vient des services de renseignement. Forcément, cela a un impact dans sa gestion de l’ordre », note le sociologue. Le préfet a notamment été à la tête de la DGSI.
Un dialogue renoué
La physionomie des cortèges explique également ce calme relatif : contrairement aux « gilets jaunes » par exemple, mouvement épars par excellence, sans réel leader, le mouvement est cette fois organisé par les syndicats, qui bénéficient de services d’ordre efficients. Ce sont eux qui interviennent dès les premières tensions. Les forces de l’ordre, elles, prennent le relais si la situation s’envenime, s’il y a de la casse ou face à des individus qui se montrent menaçants.
Du côté des syndicats comme de la préfecture de police, on se félicite de cette cogestion en matière de sécurité, et surtout de la qualité du dialogue renoué. Désormais, c’est le préfet lui-même qui reçoit les syndicats en amont des manifestations alors que ces dernières années, ils étaient plutôt en lien avec son cabinet. « Les services d’ordre ont toujours eu l’habitude d’encadrer des manifestations mais ces dernières années, ils étaient un peu mis sur la touche », estime Christian Mouhanna. On s’accorde également sur un point : la prudence est de mise. Car tous les savent, la bonne tenue des manifestations est lié au climat social, lequel peut à tout moment s’enflammer.
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