Comment Paye ton pinard veut en finir avec la « femme de vigneron » et l’omerta dans le milieu du vin
gueule de bois•De nombreux témoignages de sexisme sont relevés par l’association Paye ton pinard, en particulier pendant les salons professionnelsElsa Provenzano
L'essentiel
- Invisibilisées en « femmes de vignerons » à côté de leurs conjoints ou recrutées sur des critères esthétiques, il n’est pas facile pour celles qui veulent travailler dans le milieu du vin de s’y faire une place.
- Lancée en août 2022, Paye ton pinard dénonce ces violences sexistes et sexuelles dans le milieu de vin. L’association récolte des témoignages et propose des opérations de sensibilisation, notamment dans les salons professionnels de la filière.
- « Il y a une omerta car tout le monde se connaît, c’est un petit milieu. Et si vous parlez, vous allez être mis au ban de ce joli monde », pointe une membre de Paye ton pinard qui en rassemble aujourd’hui 65, issus du milieu du vin mais pas seulement.
Derrière les sourires de façades, la convivialité affichée et les slogans publicitaires, le monde du vin n’est pas toujours rose pour les femmes qui y travaillent. « Il y a de la consommation d’alcool qui prête à plusieurs comportements : du geste déplacé jusqu’aux violences, explique Aurélie Degoul, membre du bureau de l’association Paye ton pinard, qui alerte sur les violences sexistes et sexuelles. On justifie souvent ce genre d’attitudes en disant qu’untel "était un peu éméché". C’est prégnant dans tout ce qui est événementiel. »
En septembre 2020, la vigneronne Beaujolaise Isabelle Perraud lance le compte Instagram Paye ton pinard pour dénoncer le sexisme au quotidien dans le milieu du vin. Elle a reçu tellement de témoignages de victimes qu’elle a décidé de fonder une association qui porte le même nom que la page du réseau social. Lancée en août 2022, elle rassemble aujourd’hui 65 membres, issus du milieu du vin mais pas seulement.
« Si vous parlez, vous allez être mis au ban de ce joli monde »
« Je ne connais pas de milieu exempt de sexisme et je ne sais pas si on y est plus soumis que les autres dans le milieu du vin mais en tout cas, on nous rapporte beaucoup de faits », commente Aurélie Degoul, qui après avoir travaillé dans la communication dans ce secteur, travaille aujourd'hui dans celui de l'économie sociale et solidaire. L’association s’est donné pour objectif de dénoncer aussi bien le sexisme ordinaire que les violences sexistes et sexuelles. Et si les infractions sont jugées graves, elle oriente les victimes vers les autorités judiciaires compétentes.
« Il y a une omerta car tout le monde se connaît, c’est un petit milieu. Et si vous parlez, vous allez être mis au ban de ce joli monde », pointe encore Aurélie Degoul qui confie que, dans les salons professionnels, où l’on travaille souvent un verre à la main, les commentaires et les gestes inappropriés sont loin d’être rares : « avec une jupe un peu courte à ce genre d’événement, vous n’allez pas beaucoup parler de vin mais par contre, on va commenter votre tenue. »
Vers une charte de bonne conduite
Sans compter qu’à Bordeaux, l’un des grands cabinets de recrutement qui a pignon sur rue à des attentes sur l’apparence des candidates. « On m’a déjà dit "avec votre style cela ne va pas être possible", parce que je suis tatouée et que j’ai une couleur de cheveux bizarre. », témoigne Aurélie Degoul, qui travaille dans le Médoc. « A Bordeaux, il y a un très gros clivage entre les vignerons et les grands crus », ajoute encore la jeune femme avant de continuer à dénoncer. Car si plusieurs femmes sont bel et bien à la tête de grands domaines en Gironde, « on nous dit "vous voyez, elles y arrivent quand elles ont du talent", et cela permet de cacher tout le reste ».
Le reste étant souvent les inégalités de traitements entre les hommes et les femmes. On sait que la part des hommes et des femmes travaillant dans les secteurs de l’œnologie et de la sommellerie est à peu près égale, les statistiques sont cependant plus difficiles à établir dans le volet de la production viticole. « Les femmes sont souvent des conjoints collaborateurs, un statut qui existe depuis 1999, et s’en trouvent invisibilisées et pas toujours rémunérées, explicite Aurélie Degoul. Elles sont "femme du vigneron" et pas reconnues vigneronnes. »
notre dossier sur les inégalités hommes-femmes
Très soucieux de ne pas entacher leur image, les vins de Bordeaux ont « beaucoup de mal à se moderniser », de l’avis de la membre de l’association qui est aussi représentée dans la Loire, le Beaujolais, le Bordelais et même en Andalousie. En ce début du mois de janvier, Paye ton pinard, qui sera présente au Salon Canons des vigneronnes naturelles les 4 et 5 mars prochains, a rédigé une lettre d’intention aux organisateurs de salon pour les inciter à s’engager contre ces violences et leur proposer une charte de bonne conduite. Le syndicat des producteurs de vins naturels l’a déjà signée.