barreauxQuelles pistes pour en finir avec la surpopulation dans les prisons ?

Surpopulation carcérale : Comment en finir avec nos prisons pleines à craquer ?

barreauxEn décembre, les prisons françaises abritaient plus de 72.000 détenus, un record après le pic du mois de… novembre
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • Les indicateurs des prisons françaises sont dans le rouge depuis plusieurs décennies. Le nombre de détenus a atteint en décembre le niveau inédit de 72.836.
  • Libérations collectives comme en période de Covid-19, crédibiliser les peines alternatives, construire plus d’établissements… Quelles sont les pistes pour endiguer le phénomène ?
  • Pour 20 Minutes, Benjamin Monnery, chercheur en économie à l’université Paris-Nanterre spécialiste de la justice pénale, et Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, tentent d’apporter des éléments de réponse.

+4 %, +120 %, +200 %. Si ces chiffres reflétaient la croissance d’une grande entreprise, on pourrait dire qu’ils sont excellents. Ils dépeignent une réalité bien moins rose, celle de l’augmentation du nombre de détenus dans les prisons françaises et, donc, du mal qui les rongent depuis des dizaines d’années : la surpopulation carcérale. Dans ce dossier, les gardes des Sceaux successifs ont dû se familiariser avec la couleur rouge : taux d’occupation des établissements (+200 % pour six prisons), densité carcérale (+120 %), hausse du nombre de détenus en un an (4 %), etc. Les différents indicateurs sont en berne et les motifs d’espoir à court terme sont minces. Alors comment en finir avec les prisons pleines à craquer ? Elements de réponse avec Benjamin Monnery, chercheur en économie à l’université Paris-Nanterre spécialiste de la justice pénale, et Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, tentent d’apporter des éléments de réponse.

Combien y a-t-il de détenus dans les prisons françaises ?

Les chiffres publiés ce mercredi par le ministère de la Justice ne poussent pas à l’optimisme : avec 72.836 détenus en décembre, la France n’avait jamais compté autant de détenus… depuis le mois de novembre. Les prisons françaises comptent ainsi 27 détenus de plus qu’en novembre, mois pendant lequel la surpopulation carcérale avait dépassé le précédent record enregistré en mars 2020, à la veille du confinement. Et sur une année en décembre, on dénombre 2.844 prisonniers de plus, soit une hausse de 4 %.

L’Etat fait face à un problème majeur : seules 60.398 places de prisons sont opérationnelles. Le trop-plein de personnes incarcérées par rapport au nombre de cellules disponibles contraint plus de 2.000 prisonniers à dormir sur un matelas entreposé au sol, sans sommier. « Le dernier épisode sans surpopulation carcérale en France date du début de l’année 2000. Il a duré un an, indique Benjamin Monnery. Depuis 2003-2004, il y a une forte augmentation du nombre de détenus par rapport au nombre de places. »

Aujourd’hui, près de la moitié des prisons françaises accueille plus de prisonniers que leur capacité, 56 établissements affichent une densité supérieure à 150 % et six un taux d’occupation de 200 %.

Quelles pistes ont été explorées pour tenter d’en finir avec la surpopulation carcérale ?

Pour désengorger les prisons, tous les ministres de la Justice, ou presque, y sont allés de leurs idées. En 2016, sous la présidence de François Hollande, le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a souhaité créer entre 10.000 et 16.000 cellules supplémentaires. « La prison est un lieu où on exerce la peine, ce n’est pas la peine », avait à l’époque affirmé le ministre. Puis Nicole Belloubet, sous le premier mandat d’Emmanuel Macron, a réformé par la loi les aménagements de peine. « L’idée, c’est d’éviter des emprisonnements inutiles, désocialisantes et qui nourrissent la récidive », avait-elle annoncé. « Ce sont les aménagements ab initio. En pratique, l’aménagement de peine est quasiment obligatoire pour une peine inférieure ou égale à un an de prison, détaille Benjamin Monnery. Mais seulement 20 % des peines éligibles à ce système sont réellement aménagées ».

A noter que plus du quart des détenus (26,4 %) sont des prévenus, c’est-à-dire des personnes en attente de jugement - et donc présumés innocents. La densité carcérale dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérés ces prévenus et les condamnés à de courtes peines, s’élève à 142,8 %.



Enfin, avant le premier confinement, soit en 2020, le gouvernement avait pris des ordonnances permettant la libération de plus de 6.000 détenus sous certaines conditions. Une mesure qui s’était révélée efficace pour désengorger les prisons. « Mais c’est une solution à court terme, comme à l’époque des grâces présidentielles où des détenus étaient libérés chaque année en juillet », tranche Benjamin Monnery.

Alors quelles sont les autres solutions possibles ?

Pour le spécialiste de la justice pénale interrogé par 20 Minutes, deux solutions pourraient juguler le problème des prisons pleines à craquer. D’abord, la création de nouvelles places. Et ce sera bientôt chose faite puisque le gouvernement prévoit 15.000 lits supplémentaires à l’horizon 2027.

Ensuite, il faudrait, selon notre expert, rendre plus « crédibles » aux yeux des magistrats, des condamnés et de la société les peines qui permettent d’éviter une incarcération. Autrement dit, le travail d’intérêt général, le sursis probatoire, le sursis avec mise à l’épreuve, la détention à domicile avec bracelet, par exemple. « On dispose d’une très large palette de peines en France. Il faut mettre les moyens pour qu’elles puissent être exécutées et préviennent les récidives », précise Benjamin Monnery. Comment ? En investissant dans les établissements pénitentiaires, dans ces peines alternatives, dans la façon de les mettre en place (applications des peines) et dans le suivi des détenus qui doivent les respecter. Et l’économiste de citer les pays scandinaves et l’Allemagne qui ont connu une baisse massive des taux d’incarcération en empruntant cette voie.

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« Plus les conditions de détention sont rudes, plus ça va générer de la récidive », tranche alors Benjamin Monnery. Un constat identique à celui des Etats généraux de la justice, qui indiquait en juillet dernier que la surpopulation carcérale ne permettait pas « d’assurer une réinsertion de qualité, ni de prévenir la récidive. »

De quel système pénal la France peut-elle s’inspirer ?

Pour Dominique Simonnot, pas de doute, il faut prendre exemple que les politiques carcérales de l’Espagne et de l’Allemagne. « Ces pays ont favorisé les peines alternatives. L’Allemagne a 14.000 détenus de moins que nous avec 20 millions d’habitants de plus que la France. Là-bas quand une prison arrive à 90 % d’occupation, elle se déclare suroccupée, plus aucun détenu ne rentre », commente la contrôleuse générale, qui plaide pour l’adoption d’un système similaire de régulation carcérale en France, inscrit dans la loi.


notre dossier sur les prisons

Quant aux Allemands, ils ont réussi en deux décennies à éliminer la surpopulation carcérale. Au 30 juin dernier, l’utilisation des capacités du système pénal y était ainsi de 78,1 % alors qu’elle était de près de 104 % en 2003. En Espagne, le nombre de détenus a baissé de plus 20 % entre 2011 et 2022.