Marseille : « Garo, garo », entre contrebande et faussaire, le trafic de cigarettes se porte bien
REPORTAGE•La préfecture de police de Marseille a déployé le mois dernier une seconde unité chargée spécialement de lutter contre le trafic de cigarettes. Un trafic actuellement florissant contre lequel le gouvernement a annoncé vouloir sévirAlexandre Vella
L'essentiel
- Le gouvernement a annoncé vouloir sévir contre le trafic de cigarettes et le punir « comme ceux de stupéfiants ».
- Reportage à Marseille, où l’on peut se procurer des cigarettes de contrebande entre deux commissions chez le boulanger et le primeur.
- Si les « descentes » de police se font plus régulières, le trafic ne semble pas pour l’heure perturbé.
«Marlboro, Marlboro, garo, garo (cigarettes) », répète à voix basse Chérif* dans une ruelle piétonne de Noailles, quartier populaire du centre-ville de Marseille. Ici, entre un étal de fines herbes et une boucherie, il est possible d’acheter des cigarettes à la sauvette. Comme une paire de baskets, un jean ou un haut de survêtement d’ailleurs, mais ce n’est pas le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Difficile de ne pas apercevoir ces revendeurs de tabac postés à intervalles réguliers. Noailles n’a pas, loin de là, le monopole de ce trafic. Il s’y passe plutôt tranquillement même, à l’inverse de Porte d’Aix, un autre quartier du centre, ou du marché aux Puces, situé au nord de la ville. Sur ce boulevard investit également avec force par tout un tas de marchands en tous genres, les cigarettes s’y achètent « en drive », aux feux de circulation, aux giratoires, et par cartouche entière si on le souhaite.
Un type de trafic qui ne se résume pas à Marseille et contre lequel le gouvernement a annoncé vouloir sévir : « Nous voulons punir les trafiquants de tabac comme ceux de stupéfiants », a averti dans le JDD ce dimanche Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, chargé des douanes. Et pour étayer ses propos, le ministre a détaillé la préparation d’un arsenal législatif plus répressif (trois ans de prison au lieu d’un pour la vente au détail, possibilité d’expulser du territoire les contrevenants étrangers…) et des ambitions de saisies relevées.
« Il faut bien des sous un peu »
« C’est mieux ça que la drogue et vendre la mort, non ? », interroge notre revendeur du jour. « Moi je fais ça entre deux boulots, parfois je fais le bâtiment ou les espaces verts, mais s’il n’y a pas, il faut bien des sous un peu ». Chérif revend au paquet ou à l’unité. Il est un peu plus cher que d’autres collègues à lui : 6 euros le paquet, avec qualité certifiée. Dans le commerce, le paquet de Marlboro red se vend 10,50 euros. « J’ai parfois les algériennes, ou des cigarettes de duty free. Je préfère ça « aux fabrications maison », elles font mal à la gorge, parfois tu te demandes ce qu’il y a dedans ».
Car le trafic de tabac n’est pas monolithique. Les sources d’approvisionnements sont variées, entre cigarettes venues de l’étranger, et donc de qualités « standard international » ou bien d’autres qui sont « fabriquées » dans des ateliers clandestins que la police démantèle parfois. En gros, il y a les faussaires et les contrebandiers.
« C’est chacun son terrain. Parfois il y a un peu des bagarres »
Chérif ne dira rien, si ce n’est un sourire, de ses sources d’approvisionnement ou du lieu où est stockée sa marchandise. On l’imagine dans un hall d’immeuble voisin. Lui se dit free-lance. Il achète lui-même et revend pour son compte. « C’est chacun son terrain. Parfois il y a un peu des bagarres. D’autres fois c’est le fournisseur qui peut vouloir placer son vendeur. Enfin, on s’arrange ». Et lorsqu’il n’y a pas d’arrangement, la situation peut gravement dégénérer, plusieurs personnes sont décédées cette année à Marseille, tuées par balles ou à coups de couteau, pour des différends de trafic de cigarettes.
Une montée de niveau de violence qui n’a pas échappé à la police. Le 7 novembre, la préfecture de police a mis en service une nouvelle unité composée de six policiers, issue des renforts reçus dans le cadre du « plan Marseille en grand », spécialement dédiés à cette problématique. Celle-ci s’occupe du secteur centre-ville, et est venue s’ajouter à celle déjà en place pour le secteur nord. Un quadrillage du territoire cohérent, la préfecture estimant que le secteur nord, essentiellement le marché aux Puces, fait office de grossiste pour les petits revendeurs du centre. Un schéma guère différent de celui des stupéfiants, finalement.
Ce trafic « finance la grande criminalité »
Un dispositif qui permet à la préfecture de multiplier le harcèlement des vendeurs de rue du centre. Comme ce jour, où, une première patrouille à peine partie, une nouvelle débarque dans les ruelles. « On prend le haut et redescend cette fois ? », s’accordent les deux policiers.
Un manège qui n’impressionne plus les vendeurs à la sauvette. Ses paquets planqués dans la poche ventrale de son manteau, Chérif souffle juste après avoir conclu une transaction, sitôt les deux agents le dos tourné : « C’est tout le temps maintenant. Enfin, tu as que tu n’as pas la marchandise posée sur un étal [des cagettes empilées généralement], ça va. Mais parfois, ils prennent tout et l’argent aussi. Alors tu repars de zéro », explique-t-il. En passant, avant, par la case prison, souhaite désormais le gouvernement pour qui ce trafic « finance la grande criminalité » et « représente une perte fiscale de 2,5 à 3 milliards d’euros », a déclaré Gabriel Attal.
*Prénom modifié à la demande de l'interlocuteur.