ENFANCE« L’enfant a autant le droit à la vie privée que l’adulte »

Vie privée : « L’enfant a autant de droits que l’adulte »

ENFANCEDans un rapport publié ce jeudi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, passe en revue les multiples atteintes au droit à la vie privée des enfants
Caroline Politi

Propos recueillis par Caroline Politi

L'essentiel

  • Un rapport publié ce jeudi par la Défenseure des droits pointe les nombreuses atteintes à la vie privée des enfants.
  • Ce droit à la vie privée englobe tous les aspects de la vie des plus jeunes : école, cellule familiale, Internet…
  • Si le droit à la vie privée pour les plus jeunes est fondamental, il n’est pas pour autant absolu et doit être proportionnel à la nécessité de sécurité.

La vie privée, « c’est mon monde à moi », « c’est des choses que personne n’a à savoir », « c’est de ne pas fouiller dans mes affaires ». Dans un rapport publié ce jeudi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, déplore que ce droit à l’intimité, pourtant garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant, soit très souvent bafoué. Que ce soit à l’école, sur les réseaux sociaux ou au sein même de la cellule familiale, difficile pour les enfants et les adolescents d’avoir cette vie privée à laquelle ils aspirent. Entretien.

On a tendance à penser que le respect de l’intimité d’un enfant se limite à son corps, alors que c’est une notion bien plus large. Comment définiriez-vous ce droit à la vie privée ?

C’est étonnant car cette question revient souvent chez les adultes alors que pour les quelque 1.100 enfants que nous avons auditionnés, c’était une évidence. C’est le droit à disposer de son corps, bien évidemment, mais également d’avoir un espace à soi, de pouvoir se retrouver seul. Ce qui nous a alertés, c’est que cette thématique sous-tend de nombreuses saisines et traverse tous les aspects de leur vie : les violences sexuelles, le harcèlement à l’école ou en ligne, les questions de logement dans lesquels l’intimité est impossible…

Vous évoquez par exemple le cas des parents qui exposent leurs enfants sur les réseaux sociaux…

Bien sûr, on ne partage pas une photo de quelqu’un sans son autorisation. C’est une évidence avec un adulte, pourquoi ce serait différent avec un enfant ? La base, c’est de lui demander s’il est d’accord. Vous n’imaginez pas le nombre d’enfants et d’adolescents qui ont raconté, au cours de nos tables rondes, avoir ressenti de la gêne, voire de la honte, en sachant que ces photos étaient exposées. Cela peut générer des moqueries. Ce rapport, c’est avant tout un outil de réflexion à destination des parents, mais également des enfants.

Mais surveiller la vie privée de ses enfants permet également de les protéger, notamment sur Internet. Comment trouver un équilibre ?

Le droit à la vie privée des enfants est fondamental, mais pas absolu. Il doit en effet être proportionnel à la nécessité de protection. Il n’y a pas de recette toute faite, et l’équilibre varie en fonction de l’âge. Par exemple, sur la géolocalisation. Elle est souvent installée dans un souci de protéger les enfants ou les adolescents, pour vérifier qu’ils sont bien arrivés à l’école. Mais jusqu’à quel âge doit-on la maintenir ? Un adolescent a le droit de ne pas être perpétuellement surveillé, d’avoir une vie privée. C’est la même chose pour le contrôle parental sur les portables. Tout est une question d’équilibre mais dans tous les cas, lorsqu’on restreint cette liberté, il faut expliquer pourquoi on contrôle, à quel moment, ne pas faire cela derrière son dos.


La Défenseure des droits, Claire Hédon, s'est penchée sur la vie privée des enfants.
La Défenseure des droits, Claire Hédon, s'est penchée sur la vie privée des enfants. - ISA HARSIN/SIPA

A quel âge commence le droit à la vie privée ? On a du mal à concevoir cette notion pour les bébés ou les jeunes enfants…

Et pourtant ! Ça commence dès la naissance même si évidemment, ça évolue en fonction de l’âge. Quand on change un bébé, par exemple, les gestes qu’on va avoir et la manière dont on va le faire montrent qu’on respecte son intimité. Dans certaines crèches, les espaces de change sont dans un passage ou un espace ouvert, visibles de tous, c’est un problème.

Dans votre rapport, vous évoquez également longuement le cas de l’école, où les atteintes sont fréquentes…

Ce qu’on a constaté, c’est que les atteintes à la vie privée touchent tout le monde, pas seulement les plus vulnérables. Vous n’imaginez pas le nombre d’enfants qui ne vont pas aux toilettes à l’école parce que les portes ne ferment pas. Au-delà du fait que c’est très mauvais pour la santé, c’est une atteinte à leur dignité, à leur bien-être.

La question des vêtements, également, revient souvent. Certains règlements intérieurs interdisent telle coupe de cheveux ou telle tenue, une jupe trop courte ou trop longue, un haut jugé trop sexy… C’est un contrôle qui n’a pas lieu d’être. La Cour européenne des droits de l’Homme considère que les choix liés à notre apparence relèvent de l’expression de notre personnalité, et donc de la vie privée. Il faut garder à l’esprit que l’enfant a autant de droits que l’adulte, même si évidemment il convient de le protéger.

En quoi est-ce si important de respecter la vie privée des enfants ?

Parce que cela a un véritable impact sur leur développement. La vie privée permet de se construire : si on a été exposé toute notre vie, on va avoir tendance à davantage s’exposer. Même si, je le répète, il n’y a pas de recette miracle – mais comme pour tous les domaines de l’éducation – il convient de se poser des questions, d’avoir conscience de ces notions pour trouver l’équilibre entre vie privée et sécurité.