Les députés se prononcent contre l'interdiction de la corrida
Est-ce que ce monde est serieux ?•Le député LFI Aymeric Caron a proposé l’interdiction de la corrida en commission, mais le sujet gêne tous les partis politiquesX.R. avec AFP
Alerte, sujet sensible. Depuis le temps qu’il patiente dans la Chambre, le député Aymeric Caron a enfin porté en commission une proposition d’interdiction de la corrida. Mais les députés ont rejeté une première fois ce texte, qui a peu de chances d'aboutir.
Les élus de la commission des Lois ont soutenu des amendements RN et LR pour supprimer le seul article du texte. Ce vote n'empêche pas son examen dans l'hémicycle le 24 novembre, si les délais le permettent, avec un ordre du jour chargé pour parcourir les propositions du groupe LFI. Sous les protestations, Aymeric Caron a aussitôt dénoncé la «grosse pression des lobbies». Dans une ambiance grave, le député de Paris a minutieusement décrit «l'exécution» du taureau. Il a reproché aux élus pro-corrida des «manoeuvres électoralistes» pour «ne pas froisser certains électeurs de régions taurines».
Des taureaux aux coqs
La corrida est une « exception qui n’a plus lieu d’être », une « torture » des taureaux, a jugé l’ancien journaliste Aymeric Caron, élu député de Paris en juin. Il voulait modifier le Code pénal qui punit déjà la maltraitance animale, mais dont les sanctions prévues à l’article 521-1 « ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ».
Et le député LFI espérait ajouter par amendement l’interdiction des combats de coqs encore autorisés dans le Nord ou certains territoires d’Outre-mer, histoire que les femmes de toreros ne soient pas les seules à dormir sur leurs deux oreilles. Mais sa proposition suscite l’embarras dans l’arène politique. Les groupes sont-ils autant de places sans issues, ou bien la liberté de vote sera-t-elle donnée aux députés ? « C’est un test démocratique qui va se dérouler. On va voir si les députés sont vraiment libres ou s’ils vont céder aux pressions des lobbies », attaque le militant de la cause animale.
Le gouvernement pour un maintien
Sensible, le sujet divise les macronistes. En juillet 2021, quand elle n’était pas encore présidente des députés Renaissance, Aurore Bergé, se demandant si ce monde était sérieux, avait signé une tribune pour interdire la corrida, jugée « barbare ». A l’inverse, l’élu du Gers au costume de papier Jean-René Cazeneuve s’oppose frontalement à l’interdiction de cette pratique présente dans son territoire. « Ça va disparaître tout seul, il y en a de moins en moins. Ça ne sert à rien de l’interdire et d’humilier des gens pour qui ce sont des traditions », argumente-t-il. « Après la corrida, ce sera le foie gras, le barbecue, les escargots, les huîtres : où arrêtez-vous la maltraitance animale ? On le connaît l’animal Caron. On sait que c’est un premier combat », lâche-t-il.
Au nom de la défense d’une « tradition culturelle » dans le Sud-Ouest et le pourtour méditerranéen, le gouvernement compte frapper fort dans le cou de la proposition du député LFI. La secrétaire d’Etat en charge de la Ruralité, Dominique Faure, est annoncée au banc des ministres le 24 novembre, plutôt que le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, passionné de corrida et donc plus clivant.
Après le SMIC et l’IVG
Division à l’extrême droite également entre le député RN Julien Odoul, prêt à voter l’interdiction, et son collègue Emmanuel Taché de la Pagerie, du côté des acrobates s’amusant autour d’une tombe. Leur patronne Marine Le Pen, qui a fait de la lutte contre la maltraitance animale l’un de ses marqueurs, propose depuis plusieurs années d’interdire la corrida aux mineurs. Du côté de LR, « on est assez nombreux dans le groupe » à « dire notre attachement à cette tradition taurine », relève le chef des députés de droite Olivier Marleix.
Dans ces conditions, le texte a peu de chances d’aboutir, d’autant que son examen complet dans l’hémicycle est encore incertain le 24 novembre. Après des propositions comme le SMIC à 1.600 euros ou l’inscription de l’IVG dans la Constitution, il figure en effet en quatrième position dans la « niche » LFI, une journée réservée à un groupe minoritaire, avec une clôture des débats à minuit. « Il faut quand même qu’il y ait du social d’abord dans notre niche ! », assume un élu LFI, sceptique sur l’interdiction de la corrida.
La proposition de loi va susciter des mobilisations ce week-end. Samedi, des élus de tous bords et aficionados vont défendre la corrida dans plusieurs villes taurines. Des associations de protection des animaux promettent à l’inverse des manifestations contre cette pratique samedi et dimanche, dont « une action à fort impact visuel » à Paris.