Marseille reste rongée par le mal-logement, quatre ans après le drame de la rue d’Aubagne
LOGEMENT•Quatre ans après le drame de la rue d’Aubagne qui a coûté la vie à huit personnes à Marseille, le mal-logement reste une réalité criante dans la deuxième ville de FranceMathilde Ceilles
L'essentiel
- Il y a quatre ans jour pour jour, huit personnes trouvaient la mort sous les décombres d’un immeuble effondré dans le centre-ville de Marseille
- Ce drame de la rue d’Aubagne avait remis la lumière sur le fléau de l’habitat indigne auquel la ville de Marseille fait face.
- Un fléau qui reste d’actualité, quatre ans après le drame.
C’était le 5 novembre 2018, il y a quatre ans déjà. Un immeuble s’effondrait rue d’Aubagne, en plein centre-ville de Marseille, emportant avec lui la vie de tous ses habitants. Huit morts qui venaient crier une réalité édifiante devenue tragique : la deuxième ville de France est rongée par le fléau de l’habitat indigne. Le phénomène n’est pas nouveau. En 2014, le rapport dit Nicol, commandé par le gouvernement, estimait que 40.000 logements marseillais, soit 13 % du parc de résidences principales, relevaient potentiellement de ce même habitat indigne. Au total, 100.000 personnes vivraient dans des taudis selon ce même rapport. Mais la mort de ces huit Marseillais dans le quartier de Noailles, suivie d’une série sans fin d’évacuations en urgence d’immeubles qu’on (re) découvrait dangereux, avait conduit les autorités, de la mairie à l’Etat, à s’emparer du dossier, face à l’ampleur du phénomène et des polémiques.
Mais quatre ans après, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le fléau du mal-logement a la vie dure dans la deuxième ville de France. Selon des statistiques communiquées ce jeudi par la municipalité, Marseille a procédé en 2021 à 1.354 interventions de mise en sécurité. Depuis le début de l’année, ce chiffre dépasse les 1.200. Tous les mois, la ville prend une vingtaine d’arrêtés pour évacuer en urgence des immeubles dangereux. « Le nombre d’immeubles évacués chaque mois reste stable, estime l’adjointe au maire de Marseille à l’urbanisme, Mathilde Chaboche. Le nombre de signalements faiblit mais reste sur un rythme important. On reste dans une situation complexe, avec du flux entrant chaque mois. »
Moisissures et crise du logement
Et d’estimer : « C’est une crise structurelle. On fait face aussi à un problème de mal bâtiment. On a des états de dégradations bâtimentaires au fil du temps, liés à l’effet domino d’immeubles qui appuient les uns sur les autres, aux difficultés géologiques et à un manque d’entretien. Il faut donc vraiment engager une réhabilitation du parc immobilier à grande échelle, et créer du logement, social mais aussi pour les classes moyennes. » Confrontée à une « véritable urgence » en la matière, la ville de Marseille a annoncé la semaine dernière vouloir produire 27.000 logements d’ici 2028, soit 4.500 par an dont 2.300 logements « abordables ».
En attendant, sur le bureau de Me Aurélien Leroux, avocat marseillais spécialisé dans la défense de locataires touchés par l’habitat indigne, la pile de dossier ne désemplit pas depuis le 5 novembre 2018. « Mais depuis quelque temps, on est plus sur des problématiques de long terme que d’urgence, constate l’avocat. Après les effondrements, après ce tremblement de terre, la mairie a pris les choses en main. La nouvelle équipe a mis en place un travail d’envergure. Je fais face plutôt à des problématiques d’insalubrité un peu nouvelles, qui sont la conséquence d’un mal-logement au quotidien. Ça peut être de la moisissure, des problèmes d’électricité… Cela concerne surtout des femmes seules, et en particulier le troisième arrondissement. »
Les marchands de sommeil en ligne de mire
L’arrondissement le plus pauvre de France semble en effet un eldorado pour certains investisseurs, qui se révèlent aussi parfois des marchands de sommeil peu prompts à réaliser les travaux nécessaires dans des logements insalubres. « Le profil, c’est beaucoup de notables, des avocats, des médecins, qui ne résident même pas dans la région, rapporte Me Leroux. Ils habitent Rennes ou Paris, achètent leurs biens, souvent aux enchères, sans connaître le locataire, et voient cela uniquement comme un placement immobilier. Or, le loyer sert aussi pour maintenir le logement en bon état. »
Depuis l’effondrement de la rue d’Aubagne, la justice marseillaise s’est saisie du dossier, avec récemment plusieurs condamnations de propriétaires indélicats. « 90 signalements ont été transmis au parquet depuis l’arrivée de la nouvelle municipalité et 29 astreintes administratives ont été prononcées contre des propriétaires défaillants », rappelle la ville de Marseille dans un récent communiqué.
Avec toutefois une limite, et pas des moindres, comme le rappelle Me Leroux : « A l’Evêché (surnom donné au siège de la police marseillaise, N.D.L.R.), il n’y a plus qu’un seul policier spécialisé dans les questions d’habitat indigne. Après la rue d’Aubagne, ils étaient deux. C’est ça, les moyens alloués par le ministère de l’Intérieur… » Les 29 et 30 novembre prochain, l’État, les collectivités, les bailleurs, les promoteurs, les collectifs et des associations de citoyens se réunissent à l’initiative de la ville dans des « Etats généraux du logement », dans l’espoir de faire émerger des solutions contre l’habitat indigne. Preuve s’il en est, que le temps de la crise est toujours là…