Haut-Rhin : A Niederhergheim, le dernier commerce du village va fermer
REPORTAGE•Le boucher de Niederhergheim s’apprête à tirer le rideau d’ici fin novembre. Ce bourg du Haut-Rhin de 1.200 habitants n’aura alors plus de commerce. Un symbole supplémentaire de ces nombreux villages dortoirs ?Thibaut Gagnepain
L'essentiel
- Comme d’autres communes avant elle, Niederhergheim (Haut-Rhin) va perdre son dernier commerce. Le boucher-charcutier prend sa retraite.
- Comment la population accueille la nouvelle ? Le maire avait-il des solutions à proposer ? 20 Minutes est allé poser ses questions-là.
- « Nous avons des associations qui sont actives mais c’est sûr qu’il n’y a pas vraiment d’endroit où les gens peuvent se croiser et discuter au quotidien. Ça nuit à la vie du village, il manque quelque chose », déplore le maire, qui cherche des solutions.
Sa porte n’est pas fermée. Pas encore. La boucherie-charcuterie de Niederhergheim (Haut-Rhin) accueille toujours des clients en magasin. Pour de la viande mais aussi des pâtes, du pain, des fruits et légumes, des bombonnes de gaz, de la vaisselle aussi… Le lieu est un vrai commerce de proximité. « Le temps d’écouler mon stock, je ne pouvais pas tout stopper d’un coup », justifie le propriétaire Francis Mann, qui a prévu de tirer le rideau « le 30 novembre maximum ». Le lendemain, il prendra sa retraite à l’âge de 60 ans.
Après, il en sera fini de l’affaire familiale fondée par son grand-père en 1931 sur la place principale de ce village de la plaine d’Alsace. Le bourg ne comptait alors pas 1100 et quelques habitants mais abritait d’autres commerces. Quatre restaurants, une boulangerie, une épicerie ou encore une quincaillerie rappellent les plus anciens. « Aujourd’hui il n’y a plus rien », tranche un trentenaire croisé à vélo.
Il n’exagère qu’à moitié : début décembre, ce sera impossible d’acheter le moindre aliment dans le centre du village. Le plus proche ? Un supermarché Aldi à proximité de la zone industrielle ou une boulangerie dans la commune voisine d’Oberhergheim. « Mais on sera obligé de prendre sa voiture », résume Marie-Thérèse, sans s’apitoyer sur son sort et celui de ses voisins. « Car c’est comme ça depuis longtemps, on a appris à s’organiser », plaide l’octogénaire en sortant de sa voiture, une bouteille de shampoing à la main. « Je viens d’aller la chercher chez le coiffeur à Sainte-Croix-en-Plaine. »
A une petite quinzaine de kilomètres au sud de Colmar, Niederhergheim n’a rien du patelin perdu et oublié. De grandes entreprises y sont installées comme le fournisseur d’engins de chantier Liebherr ou la centrale d’achat et logistique des magasins E. Leclerc du Grand-Est, Scapalsace. « Nous avons une entrée et une sortie d’autoroute sur l'A35, c’est un atout », complète l’édile Alain Zemb, conscient d’être à la tête d’une commune « bien lotie ». Les réfections récentes de la mairie et de la médiathèque l’attestent : ici, ce ne sont pas les moyens qui manquent.
Peut-être plutôt une vie de village… Ce jeudi, certes sous un temps gris, difficile de croiser quelqu’un dans les rues proprettes. Ici un artisan termine la rénovation d’une maison jaune à colombages, là des ouvriers sont en plein chantier à proximité de l’église… Mais sinon, personne en vue ! Le week-end, ce n’est guère mieux. « Nous avons des associations qui sont actives mais c’est sûr qu’il n’y a pas vraiment d’endroit où les gens peuvent se croiser et discuter au quotidien. Ça nuit à la vie du village, il manque quelque chose », déplore l’élu, sans trop pouvoir y faire grand-chose.
« Si tout le village venait juste deux fois par mois… »
Les commerces ont fermé les uns après les autres alors qu’il était encore adjoint et les locaux ont depuis été transformés. L’enseigne de l’ex-boulangerie « Le pain de terre » est toujours accrochée mais à l’intérieur, l’activité a changé : une artiste expose de temps à autre. La fameuse boucherie, elle, peut difficilement être reprise car Francis Mann y a sa maison accolée… « Et il y avait des tas de soucis de mises aux normes », précise l’intéressé, qui a choisi de fermer « après deux dernières années compliquées. Le Covid m’a fait beaucoup de mal et l’Etat ne m’a pas aidé du tout. »
Le boucher regrette également un relatif manque de soutien de ses concitoyens. « Certains pleurent qu’on ferme mais il fallait y réfléchir avant […] Le gros souci, c’est que les jeunes font leurs courses à Colmar ou ailleurs et rentrent chez eux après. Si tout le village venait juste deux fois par mois, je n’aurais pas eu de problèmes de trésorerie… »
Au lieu de ça, il a donc vu sa clientèle se réduire et vieillir. Pour la plus âgée, il livrait le midi. « Mes parents adoraient, ça arrivait chaud », souligne Francine, venue voir pour une des dernières fois son « boucher favori ». « C’est peut-être ce qui me chagrine le plus, comment vont faire ces gens » réagit Alain Zemb. « J’espère que quelqu’un reprendra ses tournées… »
Pour le reste, le maire n’a pas de solution miracle à proposer. Mais quelques pistes pour redynamiser son cœur de village. La principale ? « On est en train de refaire la place et on aimerait qu’un petit marché s’y installe. Peut-être pas hebdomadaire mais une fois de temps en temps, ce serait déjà bien », estime-t-il en refusant de parler de sa commune comme d’un dortoir. « Je ne dirais même pas qu’on se sent déclassé car on a tout autour. Il manque juste un point de rencontre. »