Twitter : Fuite des usagers, « risque d’arnaque »… La certification payante met-elle en danger le réseau social ?
Vérité sociale•En réduisant les conditions pour être certifié au seul paiement d’un abonnement, Elon Musk entend rendre le « pouvoir au peuple »Xavier Regnier
L'essentiel
- Après avoir racheté Twitter, le milliardaire Elon Musk a annoncé vouloir rendre la certification payante, à hauteur de huit dollars par mois.
- Le patron de SpaceX veut aussi mettre en place un nouvel algorithme, destiné à favoriser les tweets des personnes certifiées et à développer de nouveaux formats.
- Mais compte tenu de la volonté de réduire la modération au profit de la liberté d’expression d’Elon Musk, la certification payante a tout d’un « chaos » pouvant favoriser les fake news et conduire au départ des utilisateurs de la plateforme, selon Emmanuelle Patry et Anuchika Stanislaus, interrogées par 20Minutes.
On en sait un peu plus sur les qualités de négociateur d’Elon Musk… Après avoir acquis le réseau social Twitter, au terme d’un long feuilleton, pour la somme de 44 milliards de dollars, le milliardaire fondateur de SpaceX a indiqué vouloir mettre en place une certification payante, pour 20 dollars par mois. Officiellement pour donner « le pouvoir au peuple », a contrario du système actuel qu’il voit comme celui « des seigneurs et des paysans », officieusement un bon moyen de « payer les factures ». Les protestations n’ont pas tardé à fuser, et c’est en répondant à l’auteur Stephen King qu’Elon Musk a proposé, publiquement sur son réseau social, de ramener ce prix à 8 dollars.
L’affaire est dans le sac ? Pas si simple, parce que le natif de Pretoria veut non seulement mettre en place ce nouveau système au plus vite, mais aussi le coupler à un nouvel algorithme, destiné à mettre en avant les contenus de ces twittos premium. Alors qui seront les certifiés de demain ? A quoi ressemblera notre fil Twitter ? Est-ce la fin du réseau à l’oiseau bleu tel qu’on le connaît et peut-on s’attendre à une fuite des abonnés ? 20 Minutes fait le point.
Peut-on voir des trolls certifiés et des personnalités publiques abandonner leur authentification ?
Pour les plus anciens utilisateurs de la plateforme, le petit badge bleu n’a déjà plus forcément la signification qu’il a pu avoir par le passé. A l’origine, « ces badges étaient réservés aux médias et aux journalistes », rappelle Emmanuelle Patry, fondatrice de Social Media Lab, afin de mettre en valeur les sources d’informations vérifiées. En 2016, la plateforme a ouvert un « processus de candidature », et s’est rendu compte « qu’énormément de personnes en avaient besoin », explique à 20 Minutes Anuchika Stanislaus, spécialiste des questions de politiques publiques du numérique. Le réseau social s’est alors lancé dans un « travail de longue haleine » sur la catégorisation des comptes, entre institutions gouvernementales, marques, personnalités du divertissement, etc.
Aujourd’hui, Elon Musk « détruit tout », dénonce-t-elle. Au nom du « pouvoir au peuple », la remise à plat peut même s’avérer dangereuse. « Un abonnement à 8 dollars par mois, ce n’est pas de première nécessité », estime Emmanuelle Patry, qui craint que « ça ne soit pas les bonnes personnes qui achètent ». Selon elle, « le risque d’arnaque est très fort, car quand on voit un compte certifié on a davantage confiance ». Et même si Elon Musk y voit un moyen de lutter contre les bots et les faux profils, ce nouveau badge pose question.
« Il va y avoir un chaos informationnel, car les signes qui permettent à l’utilisateur d’avoir des certitudes vont disparaître », alerte Anuchika Stanislaus. Selon elle, « il va suffire d’un peu d’argent pour détourner le badge », et ainsi se retrouver avec des médias et des influenceurs complotistes certifiés. Dans le même temps, la question de payer pour conserver son macaron « sera un sujet dans chaque rédaction », prévient Emmanuelle Patry, notamment pour savoir qui, du journaliste ou du média, prend en charge cette facture. Autant dire que le gage d’authenticité, de transparence et de sérieux du badge est à mettre aux oubliettes.
Contenus certifiés mis en avant, vidéos… A quoi va ressembler notre fil Twitter ?
Au nouveau badge de certification, Elon Musk souhaite adjoindre un nouvel algorithme, dessinant un Twitter à deux vitesses. D’un côté, pour ceux qui payent la certification, la possibilité de mettre en ligne des fichiers audios et vidéos plus lourds qu’actuellement, moitié moins de publicités et… une meilleure exposition dans les réponses et les requêtes des autres utilisateurs. Qui se retrouveront, eux, avec un fil où apparaîtront d’abord les puissants, un peu comme des « contenus sponsorisés qui ne diront pas leur nom », regrette Anuchika Stanislaus.
Sur le modèle d’Instagram et de TikTok, Elon Musk veut « mettre des formats différents en avant », notamment des vidéos, souligne Emmanuelle Patry pour 20 Minutes. Le milliardaire espère notamment attirer les créateurs de contenus, en leur promettant une jolie rémunération à la clé. Mais associé à la priorisation des comptes certifiés, « on va vers moins de hiérarchisation de l’information », selon elle. Il est presque déjà loin le temps où l’on pouvait paramétrer l’application en fonction de nos centres d’intérêt.
Si le projet va au bout, peut-on assister à une fuite des utilisateurs de Twitter ?
De quoi se poser la question, pour ceux qui sont surtout abonnés à des comptes de chats, de rester sur la plateforme ? Oui, répondent à l’unisson les deux expertes. « Les utilisateurs historiques peuvent partir », estime Emmanuelle Patry, alors que les promesses d’Elon Musk peuvent « faire venir des personnes qui ont des opinions extrêmes ». Kanye West va ainsi faire son retour sur la plateforme au nom de la « liberté d’expression », alors que le rappeur a récemment soutenu dans un média français que le planning familial avait été mis en place dans le but de tuer des enfants noirs. Et un retour de Donald Trump est aussi dans les tuyaux.
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Même parmi les certifiés actuels, « certains risquent de partir, un mouvement va se créer », prédit Anuchika Stanislaus. La spécialiste en politiques publiques du numérique souligne que « les anciens de la direction de Twitter sont en train de créer leur propre réseau social », et s’attend à une « désertion » de la plateforme au profit d’autres « plus respectueuses et transparentes sur le choix de ce que l’on voit ». Heureusement, il reste un peu de temps pour faire la migration. « Le délai d’une semaine qu’Elon Musk a donné à ses équipes pour la nouvelle certification est beaucoup trop court », rassure Anuchika Stanislaus. Et malgré tous ses ultimatums, le nouveau boss de Twitter va devoir mettre de l’eau dans son vin s’il veut encore avoir des employés et des utilisateurs à la fin du mois.