La dissolution des groupes d’ultra-droite est-elle une mesure efficace ?
ANALYSE•Après la manifestation sauvage de vendredi à Lyon en hommage à la jeune Lola, les politiques ont réclamé la dissolution des « Remparts », un collectif d’ultra-droiteCaroline Girardon
L'essentiel
- Vendredi soir, près de 150 personnes ont manifesté à Lyon pour rendre hommage à la jeune Lola, tuée à Paris.
- Alors que le rassemblement a été émaillé de slogans anti-immigration et xénophobes, les élus locaux ont demandé la dissolution des « Remparts », groupe d’ultra-droite soupçonné d’être à l’origine de ces débordements.
- Pour le politologue Jean-Yves Camus, les mesures de dissolution ont un effet limité. Les groupes et les militants « ne disparaissent pas dans la nature », souligne-t-il.
«L’extrême droite est ultraviolente, il faut agir. » Cinq jours après la manifestation sauvage à Lyon en hommage à la jeune Lola, au cours de laquelle près de 150 individus ont entonné des chants xénophobes, les quatre députés Nupes du Rhône ont demandé au ministère de l’Intérieur « que des mesures soient prises pour endiguer ces phénomènes répétitifs ». Comme, par exemple, la dissolution des groupes mis en cause. Ou la fermeture des lieux abritant les activités des militants de l’ultra droite. C’est également la requête formulée par Grégory Doucet, le maire de Lyon qui s’est adressé en début de semaine au président de la République.
A l’heure où le collectif « Les Remparts », soupçonné d’être à l’origine du rassemblement de vendredi, a indiqué qu’il ne « céderait rien face aux pressions », la question est de savoir si ces mesures peuvent réellement freiner leur action.
« Les militants n’ont pas disparu dans la nature »
« A Lyon, comme ailleurs, il y a une illusion à lever. Les groupes qui ont été dissous, que ce soit chez les identitaires ou du côté du Bastion social, n’ont pas disparu dans la nature. Les militants, non plus », répond Jean-Yves Camus, politologue, spécialiste des nationalismes et des extrémismes en France et en Europe et directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la fondation Jean-Jaurès.
Dans le quartier du Vieux-Lyon, La Traboule (bar associatif) et l’Agogé (salle de sport identitaire) « sont toujours exploités par des associations », souligne-t-il. « Même si elles n’ont plus de lien avec Génération identitaire, puisque le mouvement a été dissous, le potentiel existe. La visibilité existe. » A Aix-en-Provence, « la déclinaison locale du Bastion social a de nouveau ouvert un local en centre-ville et publie une petite revue ». « Les mesures de dissolution atteignent une limite. Elles ont eu un effet mais cet effet n’est pas de l’ordre de l’anéantissement », observe Jean-Yves Camus.
Que faire d’autre légalement ? « Pas grand-chose, répond le politologue. Une fois que la dissolution a été prononcée, on peut engager des poursuites pour reconstitution de ligue dissoute. ». Le cas s’est déjà produit dans le Rhône. Yvan Benedetti, ancien président de l’Œuvre française et Alexandre Gabriac, ancien responsable des Jeunesses nationalistes, dont le parti avait été dissous en 2013 après l’affaire Clément Méric, ont été condamnés à des peines d’amendes pour avoir poursuivi leurs activités. Rien de plus.
« Ni la prison avec sursis, ni la peine d’amende ne sont suffisamment dissuasives »
« La plupart du temps, quand la procédure aboutit, les résultats sont nuls. Ni la prison avec sursis, ni la peine d’amende ne sont suffisamment dissuasives », soulève Jean-Yves Camus. La preuve en est, Yvan Benedetti est devenu le porte-parole du Parti nationaliste français, réactivé en 2015. Un parti qui, chaque année en septembre, rend hommage à Pierre Sidos, le fondateur de l’Œuvre française. Alexandre Gabriac, plus discret, a rejoint le mouvement catholique intégriste Civitas.
« Au-delà de la condamnation pour reconstitution de ligue dissoute, et lorsque politiquement on a tout fait, il n’y a rien d’autre de possible que d’engager des procédures au coup par coup, au nom du trouble à l’ordre public, poursuit le chercheur. Aujourd’hui, ces groupes ne représentent rien ou plus rien politiquement. On est plutôt face à un problème de maintien de l’ordre. » Mais vendredi à Lyon, il n’y a pas eu de violences, ni de jets de projectile ou de feux de poubelles. Aucune interpellation n’a eu lieu. En résumé, aucun trouble à l’ordre public même si les slogans entonnés ont heurté et suscité l’indignation.
« Lorsque ces groupes sentent qu’ils ont la possibilité de manifester à visage découvert sans être inquiétés, ils s’engouffrent dans la brèche. Une fois que c’est fait, il est très difficile de les faire revenir en arrière », souligne Jean-Yves Camus. Et de conclure : « Peut-être qu’à un moment, le phénomène n’a pas été pris à sa juste mesure… »