Education : Pourquoi les principaux de collège et les proviseurs de lycée ont le blues
GRISE MINE•La forte pression qui pèse sur ces personnels ces dernières années a des conséquences sur leur perception de leur métierDelphine Bancaud
L'essentiel
- La rentrée des personnels de direction (proviseurs, principaux, principaux adjoints) a été difficile, alors même qu’ils étaient déjà fatigués par ce qu’ils avaient dû gérer pendant la crise sanitaire.
- Depuis quelques années, leurs conditions de travail se sont dégradées et beaucoup d’entre eux ne se sentent pas considérés par la haute hiérarchie de l’Education nationale. Leurs relations avec les équipes pédagogiques se sont également détériorées.
- Cela joue sur les vocations, car le nombre de candidats au concours interne de recrutement des personnels de direction était en forte baisse en 2022.
Ils arrivent rincés aux vacances de la Toussaint, qui débutent ce samedi. Les personnels de direction (proviseurs, principaux, principaux adjoints…), ou « Perdir », comme on les appelle dans le jargon de l’Éducation nationale, ont dû gérer une rentrée difficile. « Nous l’avons organisée avec des profs qui manquaient dans certaines classes, en raison de la crise du recrutement enseignant. En ayant l’impression de devoir faire la même chose avec moins de moyens », explique Véronique Rosay, secrétaire nationale chargée des carrières au SNPDEN (le principal syndicat des chefs d’établissement).
Des complications qu’ils avaient anticipées, car selon une enquête du même syndicat réalisée en septembre, 44 % des personnels de direction se disaient perplexes sur la façon dont l’année allait se dérouler. Et même s’ils aiment leur métier, leur quotidien est devenu plus pesant ces dernières années. D’ailleurs, selon une enquête * de l’Autonome de Solidarité Laïque (ASL) parue ce mardi, 30 % des personnels de direction disent ressentir une appréhension avant de prendre leur service, versus 6 % en 2013. « Ils ne sont pas épargnés par l’impression d’une perte de sens de leur métier », commente Éric Debarbieux, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est Créteil.
Un emploi du temps à rallonge
En cause, un contexte professionnel qui s’est dégradé avec la crise sanitaire, puisqu’ils ont été en première ligne : « Lors de celle-ci, les Perdir ont été soumis à de fortes pressions. Ils devaient être réactifs pour répondre aux injonctions de dernière minute, mettre en œuvre l’enseignement à distance, faire respecter les protocoles sanitaires, gérer les absences des enseignants malades… Impossible de prendre de la hauteur et de réfléchir au pilotage pédagogique », explique Véronique Rosay.
Beaucoup d’entre eux témoignent aussi d’une charge de travail qui s’est alourdie au fil du temps : « Théoriquement, notre temps de travail est de 48 heures par semaine, mais on en fait souvent 60 ou 70. Notamment parce que nos équipes de direction ne sont pas complètes. Il existe un problème de sous-administration générale des établissements, alors que les tâches administratives sont de plus en plus lourdes », souligne Bruno Bobkiewicz, secrétaire general au SNPDEN. Les proviseurs à la tête de lycées polyvalents ou de cités scolaires sont particulièrement sous l’eau. Et le fait que les chefs d’établissement habitent dans le collège ou le lycée dont ils ont la responsabilité en rajoute une couche : « On est toujours sollicité, et il est difficile de ne pas répondre puisqu’on habite sur place », explique Véronique Rosay.
« Ils sont les réceptacles de beaucoup de frustrations des enseignants »
Et si l’équipe pédagogique était auparavant un rempart, cela ne semble plus si évident. Toujours d’après l’enquête de L’Autonome de Solidarité Laïque (ASL), 42,7 % des personnels de direction se disent insatisfaits du climat dans leur établissement, alors qu’ils n’étaient que 17 % à le penser en 2013. Près de la moitié des personnels interrogés (48 %) perçoivent notamment une mauvaise qualité de la relation enseignants/direction, en augmentation de 14 points par rapport à l’enquête précédente de 2013. « Les Perdir sont les réceptacles de beaucoup de frustrations des enseignants. Ils sont entre le marteau et l’enclume, et doivent faire passer certaines injonctions du ministère qui sont contradictoires », décrypte Véronique Rosay.
« Les personnels de direction ne sont pas devenus plus mauvais, mais il existe un malaise croissant dans l’organisation. Notamment parce qu’il est très difficile de faire équipe avec un volant de profs contractuels qui changent chaque année. Du coup, chacun se replie dans sa fonction », souligne Éric Debarbieux.
Une méfiance accentuée face aux réformes
Autre source du malaise des Perdir : la distance qui s’est établie ces dernières années entre eux et la hiérarchie de l’Education nationale. Selon l’enquête de l’ASL, 48,8 % des Perdirs déclarent ne pas se sentir respecté par la hiérarchie de l’Éducation nationale. Notamment car ils ont le sentiment de vivre sous le joug des injonctions. « Nous sommes priés de faire appliquer des circulaires ou des réformes avec lesquelles nous ne sommes pas toujours d’accord. »
Pour preuve : la réforme du lycée, contestée par 55,9 % des Perdir, selon l’enquête de l’ASL, a généré des conflits tant avec les enseignants qu’avec les parents d’élèves. « Ils en ont ras le bol de la réfomite. Ils savent très bien qu’à peine une réforme appliquée, elle est abandonnée, car entre-temps, le ministre a changé. Or, il faut au moins cinq ans pour qu’elle porte ses fruits », souligne Éric Debarbieux. « On nous invente toujours un nouveau dispositif », renchérit Bruno Bobkiewicz.
Une baisse des vocations
Cette morosité ambiante a des répercussions sur les vocations. Le nombre de candidats au concours interne de recrutement des personnels de direction a beaucoup baissé en 2022 : 3.250, contre 3.940 en 2021. Et si on regarde ceux qui se sont présentés réellement aux concours, le chiffre est encore plus bas : 2.517 contre 3.073. « C’est la première fois qu’il y a une baisse aussi marquée. Ce qui montre que le métier est moins attractif », estime Bruno Bobkiewicz.
Et selon Véronique Rosay, le salaire ne correspond plus à la charge de travail : « Le différentiel avec la rémunération d’un prof qui fait des heures sup n’est pas significatif. » Comme certains enseignants, des chefs d’établissements finissent par prendre la poudre d’escampette : « Certains collègues demandent des détachements ou démissionnent. Car ils ne se voient pas travailler jusqu’à leur retraite dans ces conditions », souligne Bruno Bobkiewicz.
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