Pourquoi les Flandres sont devenues une terre hantée par les sorcières
LES ANNEES FIOLES•Jacques Messiant, spécialiste des histoires de sorcières, revient sur les histoires et légendes de sorcières qui hantent les Flandres et pourquoi la région en regorgeGilles Durand
L'essentiel
- A l’occasion d’Halloween, 20 Minutes s’intéresse aux sorciers et aux sorcières et monte sur son balai pour vous faire découvrir des histoires de sorcellerie dans toute la France.
- Dans les Flandres, de nombreux procès pour sorcellerie ont eu lieu au temps de Louis XIV.
- Jacques Messiant, spécialiste des histoires de sorcières, raconte comment est née sa passion et pourquoi les Flandres sont une région de sorcières.
«Possédée du malin esprit ». Le 26 février 1659, une certaine Jeanne Delecluse était condamnée à « être étranglée sur l’échafaud et brûlée ». Nous sommes à Merville, près d’Hazebrouck, dans le Nord. C’est un des procès pour sorcellerie les plus retentissants de cette époque. A l’occasion d’Halloween, 20 Minutes revient sur ces histoires de sortilèges car, dans la région, au début du règne de Louis XIV en France, « on a brûlé une sorcière par mois en moins d’un an », signale Jacques Messiant, historien nordiste spécialiste du sujet.
Une frénésie qui s’explique, selon lui, par « les tensions de la réforme religieuse » que vit le pays flamand, alors sous la domination du roi d’Espagne. « Les faits de révoltes entre catholiques et protestants sont nombreux, raconte-t-il. Beaucoup de protestants sont chassés et leurs biens sont accaparés. » Les procès en sorcellerie tombent donc à point nommé.
Aveux sous la torture
La copie « exacte et fidèle » du procès de Jeanne Delecluse, parue dans la presse locale, relate la façon expéditive dont les procédures étaient menées. Cette femme a été condamnée au bûcher en deux mois d’instruction judiciaire. Aujourd’hui, on trouverait les actes d’accusations terriblement légers.
Ainsi, une telle, ayant mangé de la crème bouillie confectionnée par la dite Jeanne, en est tombée malade, puis en a guéri en en avalant de nouveau. Un autre s’est senti mal, au point d’en mourir quelques jours plus tard, après que Jeanne lui eut posé la main sur l’épaule. Une autre, encore, a vu mourir son coq qu’elle avait refusé de vendre à… Jeanne.
A tous ces « sortilèges » s’ajoutent des marques observées sur son corps « à côté du nombril » ainsi qu’au « bas de l’épaule ». En fait, la peau de la malheureuse est plus pâle à ces endroits. Pour les représentants de l’autorité, le doute n’est pas permis : il s’agit bien de la marque du démon. Quelques séances de supplices plus tard et la jeune femme finit par avouer qu’elle « prenait accointance charnelle » avec ses diables. Avant de se rétracter et d’avouer à nouveau sous la torture. Fin du procès.
De nombreux pays de sorcières
« Les exécutions donnaient lieu à des fêtes avec l’organisation de grandes foires », poursuit Jacques Messiant, originaire de Merville, secteur réputé pour ses histoires d’ensorcellement. « Il faut comprendre que le Nord avait été soumis à de sévères épisodes de peste au début du XVIIe siècle. La population était traumatisée et il suffisait de faire courir un bruit sur une femme pour se venger d’elle. »
Ainsi, l’histoire de ces procès eut tôt fait de nourrir de nombreuses légendes. Et les pays de sorcières se sont multipliés dans les Flandres. Une aubaine pour Jacques Messiant qui a pu glaner une quarantaine de fables locales. « J’ai commencé mon enquête dans les années 1980 auprès des anciens dans un petit village près d’Hazebrouck nommé Sercus », explique-t-il. Sont, dès lors, ressorties des histoires de maléfices vieilles de plus de 300 ans que l’auteur a publié dans plusieurs livres.
Son premier recueil Au pays des sorcières, paru en 1981, n’est pas passé inaperçu à Hazebrouck. « Une librairie refusait de mettre le livre en devanture car il s’agissait d’histoires de démons, se souvient l’auteur. Un ami m’a dit aussi que ça allait me porter malheur. » Preuve, s’il en est besoin, que ces légendes ont la peau dure.
« Chaque légende de sorcellerie pose question »
En tout cas, elles ont laissé des traces dans le paysage. A Morbecque, non loin de là, un lieu-dit se nomme N' Hell Hock [le coin de l’enfer]. « Situé sur le point culminant de la commune, c’est un endroit mystérieux où les sorciers et sorcières dansaient et copulaient avec le diable chaque semaine », résume Jacques Messiant. Ici aussi, un véritable procès a eu lieu, où une femme a été torturée sept heures, alors que le droit divin n’autorisait qu’une heure de torture. « Les juges ont estimé qu’ils avaient le droit prétendant qu’elle était aidée par le diable », assure l’historien.
A Ellezelles, en Belgique, on reconstitue chaque année, en juin, le procès d’une sorcière nommée Quintine. « Chaque légende de sorcellerie pose question, note-t-il. On les raconte aux enfants pour les écarter des dangers. La plus célèbre des sorcières, chez nous, s’appelle Marie Grauette. Elle attire les petites filles près de l’eau pour les engloutir. Le message, c’est de ne pas s’approcher de l’eau. Pour d’autres légendes, l’interdit c’est de ne pas aller se promener dans les bois. »