MONTAGNEDans la Tinée, la « résistance » face à la mort annoncée d’un hameau

Alpes-Maritimes : Dans la vallée de la Tinée, la « résistance » face à la mort annoncée d’un hameau

MONTAGNEDeux ans après la tempête Alex qui avait fait rage dans le département, causant la mort de 18 personnes, le Pra, hameau exposé à des risques naturels, ne doit plus être habité selon les autorités. Les propriétaires lancent une pétition ce samedi
Fabien Binacchi

Fabien Binacchi

L'essentiel

  • Depuis la publication d’un arrêté municipal le 17 août, il est interdit d’« évoluer » et d’« habiter » dans le hameau du Pra, rattaché à la commune de Saint-Dalmas-le-Selvage, dans les Alpes-Maritimes.
  • Menacé par les inondations du Salso Moreno, qui longe le hameau à l’ouest, et les chutes de pierres du versant qui le surplombe à l’est, le Pra est exposé à des « risques naturels […] désormais récurrents », selon la préfecture.
  • Les propriétaires de maison assurent de leur côté que des travaux peu coûteux permettraient de les protéger et annoncent qu’ils lancent une pétition ce samedi.

«Certains y sont depuis des générations. Moi j’y suis né, en 1989. C’est un endroit très cher à notre cœur et on va se battre. » Pour le Pra, Camille Grenier et sa famille sont prêts à organiser la « résistance ». Dans la vallée de la Tinée, aux fins fonds des Alpes-Maritimes, ce hameau d’une dizaine de bâtisses avec église, four à pain et lavoir, rattaché à la commune de Saint-Dalmas-le-Selvage, est appelé à disparaître.

Depuis la publication d’un arrêté municipal le 17 août, il est interdit d’y « évoluer » et d’y « habiter ». Pour les autorités, deux ans après la tempête Alex, qui avait fait rage dans le département, causant la mort de dix-huit personnes, le lieu est devenu trop dangereux. Menacé par les inondations du Salso Moreno, qui longe le hameau à l’ouest, et les chutes de pierres du versant qui le surplombe à l’est, le Pra est exposé à des « risques naturels […] désormais récurrents », appuie la préfecture des Alpes-Maritimes. Il doit être évacué.

De leur côté, les propriétaires de maisons, qui y vivent seulement une partie de l’année, n’ont pas l’intention de les quitter. Selon eux, la tempête Alex aurait tout précipité. « L’Etat aurait peur de nouvelles catastrophes, mais il faut dédramatiser », estime Benoît Grenier, le père de Camille, propriétaire du restaurant Le Pratois, une institution dans le secteur. Ils assurent que des travaux peu coûteux permettraient de les protéger. Après la création d’une association pour la préservation du Pra, début septembre, ils lanceront une pétition sur le site Internet change.org ce samedi.

« Il n’existe pas de parade ou de protection efficientes »

Pour son diagnostic, la préfecture dit s’appuyer sur « des études récentes », qui ont « confirmé la vulnérabilité du hameau aux risques d’inondations, de crues torrentielles et de mouvements de terrain ». Elle rappelle que « deux blocs de 3 et 4 m3 ont dévalé le versant, dont un jusqu’à la route, à proximité du hameau » une nuit du mois d’avril dernier, que trois véhicules ont été emportés par des coulées le 17 août et que la route de la Bonette, qui longe le Pra, avait également été coupée à la suite d’un orage dans la nuit du 18 août. Et « il n’existe pas de parade ou de protection efficientes ».

« On nous dit que la seule alternative, c’est le fonds Barnier [qui permet de financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur] alors qu’il suffirait de créer une digue sur le cours d’eau. Pour 200.000 euros, on serait protégé, assure Benoît Grenier. Ce n’est rien par rapport aux dizaines de millions qui ont été investis ailleurs dans les vallées après la tempête Alex. »



« Peur que d’autres petites communes soient sacrifiées »

Le Salso Moreno, qui avait déjà causé d’importantes inondations les siècles passées, ne serait pas le risque majeur, selon la métropole Nice Côte d’Azur, qui en a la compétence. « Cela ne servirait à rien d’intervenir sur le cours d’eau, une étude de la RTM [Restauration des terrains en montagne] l’a clairement prouvé. Le problème vient du glissement du terrain. Les travaux seraient trop importants à réaliser et pas pérennes en raison de l’évolution rapide du versant », avance la collectivité.

Un diagnostic auquel les propriétaires n’arrivent pas à se résoudre, malgré une réunion de concertation tenue il y a quelques jours. « Ce serait un crève-cœur de perdre le Pra. Le hameau est habité depuis le XVe siècle. C’est un bout de l’Histoire. Des efforts ont été faits récemment pour le développer. On n’a été raccordé aux réseaux que dans les années 1990. Avant ça, on avait des groupes électrogènes pour faire fonctionner les appareils dans la cuisine du restaurant », raconte Benoît Grenier. « Aujourd’hui, on a même Internet. Il n’y a que le mobile qui passe encore mal », sourit-il.

« Ce n’est pas juste la question d’une dizaine de destins individuels. On se mobilise pour notre hameau mais pas que, ajoute son fils. Moi, j’ai très peur que ça puisse créer un précédent et que d’autres petites communes soient sacrifiées, dès qu’il y aura un peu trop de risques et qu’il n’y aura pas de volonté politique suffisante pour les préserver. » La préfecture leur a annoncé qu’une nouvelle réunion se tiendrait en novembre.