Nantes, une ville plus dangereuse que Bogota ? Prudence avec ce classement
FAKE OFF•Ce classement, repris par certains médias, n’est basé que sur les votes de quelques internautesRomarik Le Dourneuf
L'essentiel
- Des centaines d’internautes ont récemment partagé un classement mondial des villes basé sur un indice de sécurité.
- Selon ce classement, des villes françaises seraient parmi les plus dangereuses du monde. Même Nantes serait devenue moins sûre que Bogota, en Colombie, pourtant connue pour sa forte criminalité.
- La méthodologie utilisée est en réalité des plus douteuses, puisqu’il ne s’agit que des votes sur « le sentiment de sécurité » exprimés par quelques centaines d’internautes, sans méthode scientifique.
La ville de Nantes se transformerait-elle en Far-Ouest ? Depuis plusieurs jours, des internautes relaient des publications affirmant que la ville serait devenue plus dangereuse que Bogota, la capitale de la Colombie, une métropole et un pays connus pour la violence engendrée, notamment, par les trafics de drogue. Pire, la ville des Ducs de Bretagne ne serait pas la seule à devenir un véritable « coupe-gorge », puisque d’autres villes françaises seraient pointées du doigt.
A l’origine de cette rumeur, on trouve un article du Figaro, publié le 23 septembre et repris par Valeurs actuelles dans la même journée. Intitulé « Insécurité : Nantes, Paris, Marseille, les villes françaises dévissent dans le classement mondial des villes les plus sûres », il met en avant un classement mondial des lieux les plus sûrs (et donc aussi des plus dangereux), dans lequel les villes françaises font pâle figure.
Mais si ce classement fait réagir, mieux vaut ne pas s’y fier… du tout.
FAKE OFF
Ce classement a été réalisé par Numbeo, un site internet enregistré en Serbie. Il s’agit d’une base de données accessible à tous sur Internet et qui propose différents chiffres, statistiques et indices du monde entier, le plus souvent sur le coût de la vie, l’immobilier ou la qualité de vie.
On y retrouve bien le classement, lequel prend en compte 471 villes de la planète et donne, pour chacune, un indice de criminalité et un indice de sécurité. Il évolue en permanence, et on y retrouve plusieurs villes françaises mal classées quant à leur niveau de sécurité.
Une méthodologie douteuse et subjective
De nombreuses voix, sur les réseaux sociaux, ont rapidement décrié - à raison - ce classement. La méthodologie interroge, puisqu’il est créé automatiquement via un vote des internautes, et ne se base que sur « le seul ressenti des voyageurs », comme le précise Le Figaro.
Aucune vérification n’est faite sur l’identité des visiteurs, ni sur leur lien avec la ville (habitant, touriste). Il est possible de voter autant de fois qu’on le souhaite. Chacun peut ainsi noter n’importe quelle ville selon l’idée qu’il s’en fait, sans y avoir forcément un jour mis les pieds. Il suffit de répondre à quinze questions (assez orientées).
Un classement facilement manipulable
La plupart des villes présentes dans le classement récoltent quelques centaines de voix (452 pour Nantes, 443 pour Bogota) , délivrées sans aucune méthodologie scientifique (échantillonnage, représentativité de la population…) ou données officielles.
Un internaute s’est d’ailleurs amusé à prouver le manque de sérieux de ce système en créant des « bots » (de petits logiciels automatiques) afin de placer Brest (29) à la première place des villes les plus dangereuses du monde. Quelques heures plus tard, le défi était réussi et la cité finistérienne devançait Caracas (Venezuela) et Pretoria (Afrique du Sud) sur le podium.
Des taux d’homicides sans commune mesure
Dans les faits, le sentiment de sécurité est évalué en France par l’Insee, qui a publié un rapport sur le sujet en 2021. Sur la période 2010-2019, « le sentiment global d’insécurité est resté stable, autour de 20 % ».
Mais ce sentiment ne reflète pas forcément, par définition, la réalité. Par exemple, sur cette même période de 2010 à 2019, les crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie pour violences sexuelles ont été multipliés par deux. Cela ne signifie pas que le nombre de faits a doublé, mais qu’ils ont été plus souvent signalés « dans un contexte de libération de la parole et d’incitation à déposer plainte », dit le rapport.
Par ailleurs, il est difficile de comparer les taux de criminalité entre villes ou entre pays, puisqu’ils ne sont pas enregistrés et comptabilisés de la même manière. Reste que selon les statistiques de la Banque mondiale, le taux d’homicides volontaires en France était de 1 pour 100.000 habitants en 2020, contre 23 en Colombie.