Procès de l’attentat de Nice : « Elle ne vit plus, elle survit… », le traumatisme des enfants en question
AUDIENCE•Ce jeudi, la cour d’assises spéciale de Paris entend le témoignage de deux pédopsychiatres qui suivent les mineurs témoins ou victimes de l’attaque sur la promenade des Anglais
Fabien Binacchi
L'essentiel
- «Elle ne vit plus, elle survit. Elle fait régulièrement des cauchemars et des crises de reviviscence. Elle a également un très important trouble de l’attention », témoigne la mère d’une enfant victime de l’attentat de Nice.
- Ce jeudi, Florence Askenazy et Michèle Batista, deux pédopsychiatres sont appelées à témoigner au procès de l’attentat.
- « Les premières études semblent indiquer qu’un tiers des victimes auront des séquelles à long terme et sans doute à l’âge adulte », explique la Fondation Lenval qui mène un programme de recherche pédopsychiatrique consacré aux enfants exposés à l’attentat.
Le soir de l’attentat du 14 juillet 2016, Kenza n’avait que 4 ans, « l’âge où l’on se construit », et la petite fille « a tout vu » de cette nuit de cauchemar, « les blessés, les corps sur la promenade des Anglais », témoigne sa maman Hager Ben Aouissi.
Passées toutes les deux entre les roues du camion-bélier, elles s’en sortiront avec quelques blessures, des égratignures, mais surtout des bleus à l’âme. Pour la toute jeune Niçoise, le traumatisme est immense. Et toujours là, six ans après. « Elle me parle encore de morceaux de corps. Elle ne vit plus, elle survit, assure sa mère. Elle fait régulièrement des cauchemars et des crises de reviviscence. Pour sa scolarité, c’est également très compliqué. Elle a un très important trouble de l’attention. »
« Des peurs, des troubles de la concentration et des angoisses de séparation »
Ces enfants « meurtris », Florence Askenazy et Michèle Batista les suivent encore aujourd’hui au sein du Centre d’évaluation pédiatrique du psychotraumatisme (CE2P), une structure unique en Europe créée en janvier 2017 par la Fondation Lenval (dont l'hôpital, sur la promenade des Anglais, était en première ligne le 14 juillet 2016) pour répondre à un besoin « inédit ». Le soir de la Fête nationale, ce soir-là, ils étaient 3.000 mineurs massés à regarder un feu d’artifice et à finir témoins d’une scène d’horreur. Parmi les 86 victimes, 15 avaient d’ailleurs moins de 18 ans.
Appelées à témoigner ce jeudi matin au procès de l’attentat, qui se tient à Paris depuis le 5 septembre, les deux pédopsychiatres raconteront justement les conséquences de cette attaque sur ces patients les plus jeunes. Elles sont diverses et concernent notamment « des peurs, des troubles de la concentration et des angoisses de séparation », explique le Pr Florence Askenazy. Avec des prises en charge plus ou moins tardives.
Au 31 juillet 2022, le CE2P avait réalisé 7.889 consultations concernant près de 700 enfants. « Nous continuons de recevoir des nouvelles demandes de rendez-vous », qui sont d’ailleurs « en augmentation, depuis le mois de mai 2022, avec l’approche et l’ouverture du procès », précisait-elle au mois d’août.
« Un tiers des victimes auront des séquelles à long terme et sans doute à l’âge adulte »
« Cet événement peut être source pour les enfants et pour les familles de stress, et peut même faire réapparaître des symptômes qui n’étaient plus présents », appuie Michèle Battista, médecin pédopsychiatre responsable du CE2P.
Hager Ben Aouissi espère en tout cas qu’il servira, comme pour les adultes, à leur « reconstruction ». « Il est important qu’ils comprennent que tout est mis en œuvre pour que la justice soit rendue, pour que les coupables soient punis. Ça peut permettre à ces enfants déconstruits, reconstruits avec l’horreur, de retrouver un cadre un peu sécurisant. Mais ce sera long ». En mars 2022, la maman a créé l’association « Une voie de l’enfant » pour accompagner sur le long terme les familles concernées.
« Les premières études semblent indiquer qu’un tiers des victimes auront des séquelles à long terme et sans doute à l’âge adulte », explique ainsi la Fondation Lenval qui mène parallèlement à ses consultations au sein du CE2P un programme de recherche pédopsychiatrique consacré aux enfants exposés à l’attentat. Actuellement, 692 personnes y participent et « tout est mis en œuvre pour que l’étude se poursuive jusqu’aux 25 ans » du plus jeune patient, précise sa direction.