Pédocriminalité dans l’Eglise : Qui est le père Rivoire que la France refuse d’extrader vers le Canada ?
RELIGION•Soupçonné d’agressions sexuelles sur des enfants inuits dans les années 1960 à 1970, le père Joannes Rivoire vit depuis trente ans en FranceCaroline Girardon
L'essentiel
- Une délégation d’Inuits est actuellement en France pour demander l’extradition du père Joannes Rivoire, vivant aujourd’hui à Lyon.
- Si le gouvernement français a rejeté, mardi, leur demande, sa congrégation a enclenché, ce mercredi, « une procédure de renvoi canonique ».
- L’ancien missionnaire est soupçonné d’avoir agressé sexuellement plusieurs enfants Inuits, dans les années 1960-1970, quand il exerçait dans le Grand Nord canadien.
Ils étaient venus « implorer » le gouvernement français d’extrader Joannes Rivoire afin qu’il soit jugé au Canada. Mais la France a refusé, mardi soir, d’accéder à la demande de la délégation d’Inuits, tout en assurant se tenir « prête à répondre à toute demande d’entraide judiciaire que formulerait le Canada ». Le prêtre, ancien missionnaire de la congrégation catholique des Oblats de Marie-Immaculée (OMI) qui a la double nationalité franco-canadienne, ne retournera sur les terres de Nunavut, où il est accusé d’agressions sexuelles sur des enfants. Que sait-on de l’affaire ? 20 Minutes fait le point.
Qui est Joannes Rivoire ?
Né en 1930 dans le Rhône, le prêtre vit aujourd’hui dans un Ehpad perché sur les hauteurs du quartier de la Croix-Rousse à Lyon. C’est là qu’il réside depuis près de deux ans, quasiment reclus. A 92 ans, l’homme préfère se terrer dans sa chambre et n’en sort que pour les repas, relate Le Monde qui l’a rencontré au mois de mars dernier. Une vie presque monacale bien éloignée de celle vécue dans les contrées polaires. Ordonné prêtre à l’âge de 27 ans, Joannes Rivoire rentre chez les Oblats et décide de s’établir dans le Grand Nord canadien. « C’était ça ou l’Afrique », explique-t-il. En 1960, il pose ses valises sur le territoire du Nunavut. Là où il partagera durant trois décennies le quotidien des Inuits.
Au début, il célèbre la messe sans comprendre un mot de ce qu’il dit, puis se met à apprendre l’inuktitut pour le parler couramment. Toujours vêtu de sa soutane noire et arborant une épaisse barbe, il enseigne le catéchisme, baptise les enfants, endosse l’habit de l’instituteur, chasse le phoque et le caribou ou s’improvise infirmier avec le matériel envoyé. « J’aidais les gens comme je pouvais », explique-t-il dans une interview accordée à la chaîne télévisée APTN News. Mais en 1993, quand les langues se délient peu à peu, le religieux quitte précipitamment le Grand Nord. La raison officielle ? « Mes parents souffraient, ils avaient besoin de moi », répond-il au Monde.
Jamais, il ne remettra les pieds au Canada. A la place, il s’exilera durant vingt ans à Goult, au pied du massif du Luberon. Accueilli par les Oblats dans le sanctuaire Notre-Dame des Lumières, le missionnaire y vivra paisiblement, profitant de la douceur du climat. Comme protégé de toute rumeur. Et de toute poursuite judiciaire. Ce n’est qu’en 2015 qu’il sera transféré à la maison des Oblats de Strasbourg. Puis à Lyon, en 2021.
De quoi est-il accusé ?
Dès 1992, de premières allégations reviennent aux oreilles de l’archevêque de Churchill-Baie d’Hudson. Il reçoit une lettre rédigée par une journaliste vivant à Arviat. Elle lui détaille avoir reçu les confidences d’une amie lui ayant révélé, quelques mois plus tôt, avoir été agressée sexuellement par le père Rivoire lorsqu’elle était enfant. Elle l’alerte car le nom du prêtre circule et fait l’objet d’autres accusations dans le village. Mais l’évêque ne préviendra jamais la justice. Un prêtre se rendra néanmoins sur place pour recueillir des témoignages au sujet du missionnaire. Mais à ce moment-là, l’intéressé est déjà loin.
Marius Tungilik, leader inuit, a été le premier à briser le silence, en 1991. Il affirme avoir été agressé par le missionnaire à l’âge de 12 ans en 1970. Il mettra 23 ans à porter plainte et sera d’ailleurs le premier à le faire. Suivront deux frères. L’enquête diligentée à l’époque retient les chefs d’accusation d’ « agression sexuelle » et d’ « actions indécentes ». Mais la police ne pourra jamais interroger le prêtre. L’homme s’est déjà envolé pour se réfugier en France.
En 1998, la gendarmerie royale du Canada (GRC) émet un mandat d’arrêt à l’encontre du religieux pour les agressions commises dans les années 1960 et 1970 sur les trois enfants inuits. Un coup d’épée dans l’eau. Pendant vingt ans, il restera lettre morte. Planqué en Provence, le missionnaire se fait porter pâle, assurant que la GRC ne l’a jamais convoqué. Et n’a pas cherché, non plus, à entrer en contact avec lui. Si bien que le Canada lève le mandat d’arrêt en 2017. Quant au service des poursuites pénales du Canada, il suspend dès lors les accusations, considérant que la France n’acceptera jamais d’extrader l’un de ses ressortissants. Une demande en ce sens n’a pourtant jamais été officiellement formulée par le Canada.
Il faudra septembre 2021 pour que l’affaire soit relancée. Une autre victime, une femme, dépose plainte 47 ans après les faits qu’elle dit avoir subi. A son tour, elle brise le silence, racontant les sévices subis dès l’âge de 6 ans. « Il attendait la fin de la messe pour me caresser. Il se masturbait », confie-t-elle auprès du Monde. Terrorisée, la fillette ne bronche pas. « Pendant ce temps, il me montrait une image du diable et me disait : "Si tu fais quoi que ce soit, tu iras en enfer" », se souvient-elle.
Le 29 mars 2022, la justice canadienne émet alors un nouveau mandat d’arrêt à l’encontre du missionnaire et demande à la France de pouvoir l’extrader.
Sera-t-il traduit en justice ?
En 2022, les représentants de la communauté inuits sont allés trouver le pape François pour lui demander d’intercéder et de convaincre Joannes Rivoire de revenir au Canada. Sa congrégation lui a également ordonné de se rendre dans le Grand Nord. Mais ce dernier, surnommé « le prêtre du diable » par les Inuits, refuse catégoriquement. Depuis toujours, il nie « avoir touché un enfant ». « J’ai passé trente ans là-bas mais on ne parle rien d’autre que de cela », déplore-t-il auprès d’APTN. Et d’insister : « Si les gens ne me croient pas, je n’y peux rien mais je n’ai pas conscience d’avoir fait quelque chose de grave. » Désormais, il indique se préparer « à passer de l’autre côté ».
Aujourd’hui, aucune allégation portée à l’encontre de l’Oblat n’a pu être prouvée. Sa congrégation, qui assure n’avoir eu connaissance de ces accusations qu’en 2013, a annoncé, mercredi, entamer « une procédure de renvoi canonique ». « Le père Rivoire refuse obstinément d’obéir à notre ordre et se présenter à la justice canadienne », argumente le père Gruber, provincial des Oblats de France.
Quelles sont aujourd’hui les probabilités de voir l’ancien missionnaire traduit en justice ? Peut-il être jugé, par ailleurs, en France ? « Les victimes peuvent déposer plainte, peuvent être entendues, mais il n’y aura pas de poursuite possible en raison des délais de prescription », répond à l’AFP Nadia Debbache, l’avocate qui conseille la délégation, précisant qu’il « est extrêmement important que la demande d’extradition aboutisse ». La France ayant refusé, mardi soir, l’éventualité d’un procès est désormais quasiment nulle. Ce mercredi, la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée (OMI) a annoncé « entamé une procédure de renvoi canonique [...] car le père Rivoire a désobéi à notre ordre de se présenter à la justice » canadienne, a annoncé à la presse le père Vincent Gruber.