Bretagne : Retaper les vieux phares en mer a-t-il encore une utilité ?
PHARES JE VOUS AIME•A l’image du célèbre phare d’Ar-Men, la restauration de ce patrimoine maritime de moins en moins utilisé s’avère coûteuse pour le contribuable qui n’en profite pas réellementCamille Allain
L'essentiel
- La France compte 35 phares en mer qui ont longtemps alerté les navigateurs de la proximité des côtes.
- Avec les nouvelles technologies, ces vigies qui défient les tempêtes ont perdu une grande partie de leur utilité mais continuent d'être entretenues.
- Eléments incontournables du patrimoine de Bretagne, les phares doivent se trouver une nouvelle vocation pour continuer à être utiles. Pas simple quand on est en pleine mer.
Il est l’un des plus célèbres phares de Bretagne, de France et sans doute même du monde. Depuis quelques semaines, le mythique phare d’Ar-Men a pourtant perdu sa lanterne, partie se refaire une beauté à terre pendant quelques mois. Perchée au large de l’île de Sein (Finistère), la tour blanche et noire a longtemps servi de signal d’alerte aux marins qui s’approchaient trop près de ces dangereuses côtes. « Qui voit Sein voit sa fin », dit le dicton. Depuis son automatisation en 1990, le phare souffre cependant d’un mal qui ronge tous les phares en mer de ce pays : le défaut d’entretien. Privées de leur gardien, les vigies sont beaucoup moins soignées et s’abîment. Pire, elles ont perdu de leur utilité avec l’apparition progressive des GPS et des radars de navigation. Si bien que l’on peut se poser la question : faut-il continuer à entretenir ce patrimoine certes prestigieux mais qui sert si peu ?
Les phares en mer sont-ils toujours utiles ?
Construits pour la plupart à la fin du XIXe siècle pour avertir les capitaines des dangers de la côte, les phares sont encore nombreux sur le littoral français, qui en compte 35 en mer. Ces aides à la navigation sont-elles toujours utiles au XXIe siècle ? « C’est une aide visuelle directe, qui passe au-dessus des pannes électroniques. La navigation s’est transformée et les gros navires sont tous équipés d’appareils électroniques. Mais avec l’explosion de la plaisance, les aides de proximité restent importantes et sont encore demandées », assure Nicolas Auger, qui gère le dossier au sein de la direction interrégionale de la mer à Brest.
Mais plus que les phares, ce sont surtout les aides à la navigation comme les bouées, les tourelles ou les balises qui régissent la navigation dans le grand espace de liberté qu’est la mer. Partout à l’entrée des ports, des chenaux, les navigateurs les utilisent. « Aucun pays n’a abandonné son système d’aide à la navigation », assure Nicolas Auger. Certains estiment cependant que les vigies en pleine mer ont nettement perdu de leur intérêt depuis l’apparition des nouvelles technologies. Par souci d’économie, la portée de leur signal lumineux est parfois rabotée.
Qui gère leur entretien ?
C’est là que ça se complique. Propriétés de l’État, les phares sont entretenus par les Phares et Balises. Créée il y a plus de deux cents ans, l’institution a vu ses moyens et ses effectifs fondre au fil des décennies. Les années passant, ses gardiens sont (presque) tous partis et il a fallu recruter habilement pour ne pas perdre un savoir-faire ancestral. « Depuis le départ des gardiens, nous menons des inspections régulières. Mais à l’intérieur, il y a eu des dégradations inévitables », reconnaît Nicolas Auger. Marc Pointud abonde. Ce dingue de phare a passé plusieurs mois dans la maison de Tevennec, un bout de caillou réputé maudit dont l’édifice tombait en ruines. Toit percé, murs suintants et peintures en lambeaux. « C’est l’automatisation qui a fait du mal. Quand les phares étaient habités, les gardiens veillaient sur eux. Ils les graissaient, ils les frottaient, ils les nettoyaient. Aujourd’hui, ils restent fermés toute l’année, les pieds dans l’eau de mer. C’est normal qu’ils souffrent. Le problème, c’est qu’on les a laissés tomber pendant des années », estime le Finistérien.
A force de se battre et de médiatiser son combat, le président de la Société nationale pour le patrimoine des phares et balises a obtenu que « son phare » de Tévennec soit retapé pour un budget de plus de 800.000 euros. Et qu’une liste des autres monuments à rénover soit établie sur plusieurs années.
Rénover oui, mais pourquoi et pour qui ?
Demandez aux Bretons s’ils accepteraient de voir leurs phares tomber en ruines, faute d’entretien. La réponse serait évidemment non. Pourtant la question peut se poser à l’heure où les deniers du patrimoine sont rares. A Ar-Men par exemple, le chantier de réfection de la lanterne coûtera environ 450.000 euros. Et c’est sans compter les travaux de peinture prévus l’an prochain. « Tout le monde a déjà vu Ar-Men en photo, il est connu dans le monde entier. Et pourtant, combien ont pu l’approcher ? », relève Nicolas Auger. Passionné, comme ses équipes, l’homme aimerait faire beaucoup plus pour entretenir ses bijoux, mais il interroge, lucide. « C’est aussi le citoyen qui paye. Combien est-il prêt à mettre pour sauver un ouvrage où il n’ira jamais ? On essaye de faire au mieux en étant le plus économe possible pour le contribuable ».
Comment leur trouver une utilité ?
A terre, nombre de phares sont ouverts aux visites comme à Eckmühl, Saint-Mathieu ou Bangor à Belle-Ile. D’autres ont même été transformés en gîte touristique géré par des communes. « Il y a eu une vraie prise de conscience de la nécessité d’ouvrir les phares. Mais il faudrait que l’argent des visites perçu par les collectivités serve à leur entretien. Il faudrait une gestion organisée sur le plan national », réclame Marc Pointud. Mais comment faire quand les bâtiments sont en pleine mer et accessibles que par beau temps ? Pour le président de l’association de sauvegarde, il faut être « inventif ». Les Phares et balises tentent de jouer avec les atouts de ces « bases avancées ». La société France Marine Energies a investi le phare de la Jument pour y installer des appareils de mesure utiles au montage de projets éoliens. « Nous cherchons sans cesse des idées. Nous avons déjà accueilli des capteurs de vent, du matériel météorologique ou des bases de suivi scientifique et même un dispositif de suivi de la vie des chauves-souris », aasure Nicolas Auger. Certes, le potentiel économique n’est pas énorme, mais au moins les monuments restent vivants.