DURA LEX, SED LEXComment un flou juridique prive un enfant de deux mois de sa 2e maman

Lille : Comment un flou juridique prive un enfant de deux mois de sa deuxième maman

DURA LEX, SED LEXCoincées dans un vide juridique entre l’ancienne et la nouvelle loi sur la PMA, Nelly et Emilie, un couple lesbien, ont vu la reconnaissance de filiation de leur dernier enfant refusée par le procureur de la République de Lille
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • La nouvelle loi bioéthique autorise la PMA pour toutes et facilite la reconnaissance de filiation pour la conjointe qui n’a pas accouché.
  • Néanmoins, un couple lesbien du Nord qui vient d’avoir son deuxième enfant se retrouve piégé dans le flou juridique de l’entre-deux lois.
  • A défaut de pouvoir reconnaître l’enfant, la seule solution pour l’épouse de la mère du bébé est de l’adopter.

Quand la simplification complique les choses. Maël, un petit nordiste de deux mois né d’une procréation médicalement assistée (PMA), aurait pu avoir deux mamans. A ce jour, légalement, il n’en a qu’une. Sauf qu’Emilie, sa mère biologique, n’est pas célibataire, mariée depuis juin 2021 avec Nelly. D’ailleurs ce couple lesbien a déjà un enfant de 3 ans, lui aussi issu d’une PMA à l’étranger. Mais le petit dernier est venu au monde dans un entre-deux lois sur la PMA, une période de flou juridique qui empêche l’épouse de sa mère de reconnaître sa filiation.

La nouvelle loi bioéthique, promulguée le 2 août 2021, est considérée comme un véritable progrès par les associations LGBT, notamment parce qu’elle élargit l’accès à la PMA en France aux couples de femmes et aux femmes célibataires. En toute logique, cette même loi facilite aussi la reconnaissance de filiation de l’enfant issu d’une PMA par celle du couple qui n’a pas accouché. Cela s’appelle la « reconnaissance conjointe anticipée », laquelle s’effectue chez un notaire au même moment que le recueil du consentement des partenaires à la procédure de PMA. Autrement dit, les conjoints reconnaissent l’enfant à venir et non plus l’enfant conçu.

« Une situation non prévue pas les textes »

Dans leur calcul, Emilie et Nelly avaient pourtant prévu leur coup. « Nous avions rendez-vous chez le notaire le 18 août 2021 et Maël a été conçu le 30 septembre dans une clinique en Belgique », se souvient Nelly. Sauf que le notaire a refusé d’établir l’acte de reconnaissance anticipée. « Certes, la loi a été promulguée le 2 août, mais les décrets d’application ne sont arrivés que bien plus tard. Entre deux, il était impossible pour les notaires d’établir le moindre acte pour la simple raison qu’ils ne savaient pas quoi mettre dedans », explique maître Emilie Duret, avocate spécialisée en droit des familles.

Le couple est donc tombé des nues lorsque, vendredi, la procureure de Lille a refusé de reconnaître le lien de filiation de Nelly avec le petit Maël. Dans sa décision, le parquet reconnaît que les couples comme Nelly et Emilie, dont les enfants sont nés après la loi du 2 août se « retrouvent dans une situation non prévue pas les textes ». La seule solution qui s’offre alors à la conjointe qui n’a pas accouché pour établir un lien de filiation avec l’enfant est l’adoption.

« Que se passera-t-il si mon épouse décède ? »

« C’est une procédure bien plus longue qui demande de constituer un dossier plus compliqué avec toujours cette incertitude à la fin, liée à l’appréciation du magistrat qui peut très bien refuser », déplore maître Duret, précisant que de nombreux couples lesbiens étaient dans la même situation que Nelly et Emilie. « On va entamer cette procédure d’adoption parce que nous n’avons pas le choix, lâche Nelly. Mais comment va-t-on expliquer à nos enfants que l’un est reconnu et l’autre adopté ? »

Une autre considération, encore moins réjouissante, s’expose au couple en attendant que l’adoption plénière soit prononcée. « Que se passera-t-il si mon épouse décède, s’interroge Nelly, puisque, légalement, je n’ai aucun droit envers Maël ? ». La fratrie sera-t-elle séparée ? Lui enlèvera-t-on le petit dernier ? On ne sait pas. « Oui cette loi va dans le bon sens, c’est la période de transition qui a été très mal gérée. Même les avocats et les notaires ont du mal a tout comprendre », glisse maître Duret. Et le gouvernement aussi manifestement, puisque sur le très officiel site « Vie-publique.fr » donne des informations différentes de ce que contient la loi.