Adrienne Bolland, l’aviatrice anti-conformiste, première femme à réussir la traversée de la Cordillère des Andes
EN POLE POSITION (5/6)•Adrienne Bolland, voltigeuse émérite, féministe et résistante, fut en 1921 la première femme aviatrice à réussir la traversée de la cordillère des AndesBéatrice Colin
L'essentiel
- Pour vous divertir sur votre serviette de plage ou lors de votre pause en rando, 20 Minutes, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BNF, vous propose une série d’articles sur les pionniers et les pionnières de l’aviation et de l’automobile.
- Première femme à obtenir son brevet de pilote après la Première Guerre mondiale, Adrienne Bolland est la première aviatrice à réaliser la traversée de la Cordillère des Andes, en 1921, à l’âge de 25 ans.
- Elle fut aussi la première à traverser la Manche depuis la France et réalisa de nombreux exploits de voltiges. Cette féministe, fut aussi résistante et marqua les esprits par son anticonformisme et sa force de caractère.
L’histoire de l’aviation française a retenu les noms d’Hélène Boucher, Maryse Bastié ou encore Jacqueline Auriol. Un peu moins celui d’Adrienne Bolland. Pourtant, au début du XXe siècle, cette aventurière a ouvert la voie à de nombreuses autres femmes sur les tarmacs de l’Hexagone, mais aussi ceux de contrées bien plus lointaines. Dans un monde très masculin, ce petit bout de femme a réussi là où certains de ses confrères avaient échoué. Des exploits, et pas des moindres, à une époque où monter dans un avion se faisait souvent au péril de sa vie.
La « déesse des Andes »
Née en 1895 à Arcueil, Adrienne a grandi dans une famille bourgeoise, portée par son père Henri, qui écrivait pour les guides Joanne, prédécesseurs des actuels guides du Routard ou Michelin. Mais à la mort de ce dernier, les Bolland furent en proie à des difficultés financières. Ne voulant pas être une charge pour sa mère, Adrienne a rapidement décidé de tracer sa route.
« A vingt ans, cette jeune fille, qui est bien de son époque, à la fois pratique et aventureuse, dut songer au moyen de gagner sa vie. Quel métier choisir, où il n’y eut pas déjà de l’encombrement ? Pilote d’avion ? Pourquoi pas ? Là, du moins, elle ne rencontrerait pas de rivalités féminines. Elle se présenta donc à la maison Caudron, avec ce mélange d’audace et de timidité qui la caractérise : six mois après, elle obtenait son brevet de pilote et, en février de l’an dernier, elle traversait la Manche toute seule sur son G.3, par un vilain temps de brume », écrivait le 1er mai 1921 dans Les Annales, la journaliste et aviatrice, Louise Faure-Favier.
Un article paru un mois seulement après le grand exploit d’Adrienne Bolland, celui qui fit d’elle « la déesse des Andes ». Engagée en mars 1920 par le constructeur René Caudron pour être convoyeur d’avions, elle fut, la même année, la première femme à réaliser la traversée de la Manche depuis la France. Intrépide, elle s’est mise à rêver à des destinations lointaines et s’envola en décembre 1920 pour l’Amérique du Sud pour une série d’exhibitions à bord de son G.3. Elle y a fait rapidement la démonstration de ses talents de voltigeuses, enchaînant les loopings et faisant régulièrement les gros titres de la presse en Argentine.
Les habitants rêvaient de la voir relever le défi de la traversée de la cordillère des Andes, là où de nombreux pilotes avaient déjà perdu la vie. Femme de parole, elle a sauté le pas au printemps 1921. Après une première tentative échouée. « Le 31, en effet, j’avais emporté trop de poids et je dus faire demi-tour de la vallée d’Uspallata. Je décidai de réduire à six heures de vol mon rayon d’action et je repris mon vol le lendemain, à 7 heures du matin. Le massif des Andes est un amas de montagnes de 180 km de large dont l’altitude varie entre 4.000 et 8.000 mètres. C’est-à-dire qu’il y a des tornades continuelles. J’avoue que mon vol fut dur, très dur, et que je fus obligée de recourir à toute mon énergie », confiait-elle au Petit Journal le 26 mai 1921.
Une épopée qui fut loin d’être une promenade de santé pour la jeune femme. Avant elle, très peu d’hommes avaient réussi cette traversée, tous par le sud. Elle a opté pour le nord en se disant qu’elle suivrait le chemin de fer. Pour lui garantir les meilleures chances, son mécanicien lui avait rajouté un réservoir.
« En rajoutant 50 kg, il lui a dit qu’il fallait qu’elle parte très légère. Pas de combinaison en cuir. Or, il fait – 30 °C à 2.000 m d’altitude. Elle a fait ce qu’elle a pu pour arrêter le froid. Elle a mis de la graisse, du papier journal et un pyjama en soie que son frère lui avait ramené de Chine », raconte Coline Béry, grande spécialiste d’Adrienne Bolland qui a lui consacré un livre, Adrienne Bolland ou les ailes de la liberté, ainsi qu’une websérie. Cette passionnée est allée jusqu’à suivre les traces de l’aviatrice dans la cordillère, fouillant les archives sur place.
Elle y a retrouvé plus de 500 articles de presse consacrée à la jeune rebelle de l’aviation, baptisée la « déesse des Andes » et fêtée à son arrivée à Santiago du Chili comme la véritable héroïne qu’elle était.
Féministe, résistante et rebelle
Consacrée de ce côté-là de l’Atlantique, plus qu’en France, elle ne restera pas loin de deux ans au Brésil où elle vivra l’un de ses pires accidents, atterrissant près d’une crique, victime d’une panne de son hydravion, ayant pour seul compagnon son mécanicien. « L’hydravion verse sur le côté. Mlle Bolland et son mécanicien dépensent des trésors d’énergie pour le tirer jusqu’à la plage. Ils y parviennent. Mais déception ! La contrée est sauvage. Il ne s’y trouve aucune habitation. A quelques mètres est la bordure de la forêt vierge. Les deux voyageurs ne perdent pas courage. L’estomac creux, les pieds en sang, ils refont à la marche les 70 km qu’ils avaient franchis en vol », détaille un article de L’Auto de 1923.
Une fois ravitaillés, les deux survivants sont retournés sur place pour réparer l’hydravion et reprendre leur vol. Une ténacité qu’admire Katell Faria qui a consacré un livre aux Aventurières du ciel, où figure en bonne place Adrienne Bolland. « On croit tomber sur une caricature, et ce n’est pas du tout le cas. C’est une femme plus subtile qu’elle n’en a l’air. On m’a dit à plusieurs reprises qu’elle était folle… Au contraire, c’était une femme qui prenait des risques en conscience. Elle vivait une époque pionnière, à un moment où les pilotes étaient poussés à prendre des risques pour faire progresser l’aviation. On ne s’offusquait pas à avoir des casse-cou. Elle disait qu’elle aimait trembler, mais elle avait peur », rappelle l’écrivaine.
Une peur qu’elle va affronter à chaque fois qu’elle montera dans un avion. A son retour en France, le constructeur Caudron mit fin à son contrat. « Promener du courrier, ça ne l’aurait pas passionné. C’est une femme qui ne va pas être sponsorisée par un constructeur et va survivre grâce à la voltige aérienne, tous les week-ends, durant vingt ans », rappelle Coline Béry.
Dans un article de La Petite Gironde, en avril 1921, le journaliste Henri Bouffard rappelle cet échange qu’il avait eu avec Adrienne Bolland : « "Et gagne-t-on de l’argent dans l’aviation, mademoiselle ?" A quoi la jeune pilote me répondit aussitôt très simplement : "En général, ce n’est pas brillant. Moi, c’est vrai, je gagne de l’argent. Seulement, vous comprenez, je travaille, et puis, je risque". »
Une franchise et une indépendance qui lui vaudront des amitiés solides et durables auprès d’aviateurs renommés comme Blériot ou Bréguier, mais aussi de l’humoriste Pierre Dac ou du peintre Moïse Kisling. Et aussi, parfois, des désagréments, comme le rappelle l’article de L’Auto qui rapporte en 1923 qu’une société pour qui elle devait voler voulait l’obliger à s’habiller d’une jupe pour piloter. « Une jupe-tailleur. J’ai demandé pourquoi. On m’a répondu que si je n’ai pas de jupe, on ne croira pas que je suis une femme ! Eh bien ! Alors, ai-je dit, vous n’avez qu’à me présenter toute nue », avait-elle raconté avec humour au journaliste.
« Quand elle refuse de porter des jupes, c’est ce qui pousse certains à dire qu’elle avait mauvais caractère. Elle les choquait. Toute sa vie, Adrienne Bolland s’est battue contre les conventions », assure Coline Béry. Si elle assumait sa combinaison de pilote lorsqu’elle battait des records de looping, elle n’en était pas moins une femme parée de fourrures et de bijoux lorsqu’elle sortait en ville avec Ernest Vinchon, son mari durant plus de 40 ans.
A ses côtés, elle s’engagea dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, et fit sien de nombreux combats, notamment celui du vote des femmes dans l’entre-deux-guerres. Elle s’éteignit en 1975, à l’âge de 79 ans, avec à son actif un record féminin de loopings, toujours d’actualité, de 212 boucles complétées en 72 minutes, réalisé en 1924 à Orly.