INEGALITESPourquoi le sentiment de discrimination a progressé en France

Origine, sexe, religion… Pourquoi le sentiment de discrimination a-t-il progressé en France ?

INEGALITESL’origine était le premier motif de discrimination cité en 2019-2020, comme dix ans auparavant
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • L’enquête Trajectoires et Origines de l’Ined et l’Insee, menée de juillet 2019 à novembre 2020, est rendue publique ce mardi.
  • En 2019-2020, 19 % des personnes âgées de 18 à 49 ans déclarent avoir subi « des traitements inégalitaires ou des discriminations ». Elles étaient 14 % en 2008-2009.
  • Malgré une plus forte sensibilisation, entamer des démarches suite à des discriminations reste rare, en raison d’un certain fatalisme des victimes.

Avoir l’impression d’être mis dans une case et de ne pas bénéficier des mêmes opportunités que les autres : une blessure ressentie par de plus en plus de Français, à en croire l’enquête Trajectoires et Origines de l’Ined et l’Insee, menée de juillet 2019 à novembre 2020 et rendue publique ce mardi. Selon celle-ci, 19 % des 18-49 ans déclarent avoir subi « des traitements inégalitaires ou des discriminations », alors qu’ils n’étaient que 14 % en 2008-2009.

Une augmentation qui peut s’expliquer par différentes causes, explique Sylvie Le Minez, responsable de l’unité des études démographiques et sociales à l’Insee : « On peut faire l’hypothèse de l’augmentation des traitements défavorables subis par certaines personnes, mais aussi d’une plus grande sensibilité des citoyens à la question des discriminations ». Jean-François Amadieu, sociologue et président de l’Observatoire des discriminations, penche plutôt pour cette deuxième piste : « L’étude porte sur des personnes âgées de 18 à 49 ans, qui appartiennent à des générations particulièrement sensibles à la question des inégalités dans notre société. Ce qui les rend, de fait, plus réceptives aux discriminations qu’elles subissent elles-mêmes ».

46 % des femmes pensent avoir été discriminées en raison de leur sexe

Sans surprise, l’origine est citée comme le premier motif de discrimination, suivi par le sexe et l’âge. Mais hommes et femmes n’évoquent pas le même facteur d’exclusion en tête de liste. Pour les femmes, le motif sexiste est devenu la cause principale de discrimination. Et elles sont beaucoup plus nombreuses à confier en avoir souffert que dix ans auparavant : 46 % d’entre elles pensent avoir été discriminées en raison de leur sexe, contre 28 % en 2008- 2009. Une conséquence du mouvement #MeToo lancé en 2017, selon Jean-François Amadieu : « Certes, il s’agissait au départ d’une libération de la parole des femmes à propos des viols et des agressions sexuelles, mais le mouvement a donné lieu à d’autres prises de conscience concernant l’inégalité salariale, les différences de carrière entre hommes et femmes. Ces dernières connaissent mieux leurs droits et se sentent plus à même de reconnaître qu’elles ne bénéficient pas toujours des mêmes avantages que leurs collègues ».

Le sentiment d’être discriminé augmente un peu pour les hommes, mais de manière plus limité (16 % contre 13 % dix ans plus tôt). L’origine et la couleur de peau demeurent le principal motif de discrimination ressentie (dans 58 % des cas). Les personnes originaires d’Outre-mer sont celles qui rapportent le plus de discriminations de ce type (27 %).

Entamer des démarches à la suite de discriminations reste rare

Autre constat : les discriminations religieuses ont augmenté depuis dix ans : 11 % des personnes se déclarant de confession musulmane rapportent des discriminations religieuses, contre 5 % il y a dix ans. Ce motif est beaucoup plus saillant pour les immigrés du Maghreb, de Turquie et du Moyen-Orient. « Le contexte terroriste et la prégnance du débat public sur la laïcité ont entraîné une crispation autour de l’islam », explique Patrick Simon, directeur de recherche à l’Ined.

Reste une constante : la faible propension à se défendre chez les victimes de ce type de traitements. Ainsi, les réactions face aux discriminations consistent à s’indigner et à contester (38 % des cas) ou à en parler à des proches (46 %). Seules 7 % des personnes ayant déclaré avoir subi une discrimination ont entrepris une démarche auprès d’une association, d’un syndicat ou du Défenseur des droits, et 2 % portent plainte. « Le fatalisme prévaut. Car beaucoup de victimes considèrent qu’il ne sert à rien de signaler ce qu’elles ont vécu car elles estiment que le paysage actuel n’est pas encourageant pour faire évoluer la situation », indique Patrick Simon.