FOOT VRAIUn an après la fusillade, la Hcup a décidé de continuer de rêver

Marseille : Un an après la fusillade mortelle, la Hcup a décidé de continuer de rêver

FOOT VRAISi la tragique fusillade de l’an dernier « va laisser une trace à vie », la Hcup, tournoi de foot inter-quartiers à Marseille qui se termine ce week-end, continue de grandir et rêve du stade Vélodrome
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • La Hcup est un tournoi inter-quartiers de Marseille né en 2020.
  • L’an dernier, celui-ci avait été brutalement interrompu par une fusillade dans un règlement de compte.
  • Pour autant, les organisateurs n’ont pas souhaité laisser tomber, face à l’engouement et la ferveur suscité.

L’ambiance promet d’être bouillante ce vendredi soir au stade de La Martine (15e arrondissement) où plusieurs centaines de supporters sont attendus pour les demi-finales de la Hcup, ce tournoi de foot inter-quartiers de Marseille né sauvagement pendant le confinement de 2020. Evidemment, la fusillade de l’année dernière qui avait brutalement interrompu le tournoi après le meurtre à la sortie d'un match d’un jeune homme encore en short et crampons dans un règlement de compte, sera dans tous les esprits. « Cela va laisser une trace à vie », souligne Djamal Bounou, 31 ans, ancien défenseur international comorien, « référent » (sorte de sélectionneur) de l’équipe de La Cayole, qui dispute sa demi-finale contre Félix Pyat.

Mais réduire ce tournoi de foot à ce fait divers tragique, hélas trop courant à Marseille (36 meurtres liés au trafic de stupéfiants en 2021), ne serait pas rendre justice aux organisateurs et aux participants. « La fête, la joie, les quartiers et cette ferveur, on ne pouvait pas laisser ça », résume Nordine Ali Said, un journaliste de 29 ans originaire de la Busserine, qui officie comme commentateur des rencontres diffusées en direct sur YouTube.

« Ça sera un peu notre Furiani »

Pourtant, la question de ne pas rempiler s’est posée, un temps, celui d’un été particulièrement meurtrier à Marseille. « Même pas par peur mais par manque d’envie. Quand tu mets tant d’énergie dans un projet et qu’il se passe ce qu’il s’est passé… On s’est parlés en septembre et rapidement, on s’est dits : "Ça serait leur donner raison." ». En mémoire, toutefois, aucun match ne s’est joué le week-end du 25 juin, sinistre « date anniversaire » des faits relatés. « Ça sera un peu notre Furiani, sans parler d’hommage car ce serait prendre position », explique Hachim Martiniky, 33 ans, l’un des piliers fondateurs de ce tournoi (douze équipes cette année) qui a donné le H de son prénom à la coupe.

Né en 2020 « d’un délire », celui d’Hachim qui en plein confinement et allant chercher un vélo « histoire de faire un peu sport », tombe sur le stade Merlan qu’il n’avait pas vu depuis sa réfection. « Le synthétique brillait, ça donnait trop envie et des mecs étaient en train de jouer. Je les ai emboucanés* pour faire un match contre une équipe de mon quartier, La Savine ». Quelques matchs se jouent et, Marseille étant à bien des égards un grand village, cela ne tarde à se savoir dans d’autres quartiers du nord de la ville. « Des équipes sont venues me voir et m’ont dit : "On prend la gagne". Au final on s’est retrouvé à huit équipes », rembobine Hachim. Organisée à la sauvage, mais « à la bien », ils débauchent des arbitres, connaissances des quartiers. Par peur d’être suspendus par la Ligue Méditerranée, qui ne donne pas son feu vert à ce qu’ils sifflent ce tournoi, les hommes en noir valident les buts ou distribuent les cartons sous des cagoules garantes de l’anonymat.

Retransmission et commentaires en direct

Deux ans plus tard, une solide troupe d’une quarantaine de bénévoles s’est structurée, une association en bonne et due forme s’est montée, la mairie a apporté son soutien mettant à disposition des installations et réglant quelques factures. Une société de sécurité privée, pour gérer le flux de supporters, a été embauchée. La Ligue Méditerranée, si elle n’envoie pas ses arbitres, donne l’autorisation à ses affiliés d’y participer. L’association de La Savine B-Vice, bien connue des Marseillais pour avoir fait démarrer dans les années 1990 – début 2000 nombre de rappeurs marseillais, met à disposition son matériel de sonorisation, aide Hachim dans les papiers administratifs. « Je suis de ce quartier et je dois beaucoup à Elvire Zaidi de B-Vice et du centre social de La Savine, le fait que ce soit carré* aujourd’hui », remercie-t-il, désireux de faire de cette aventure une construction toute collective, celle de tous les quartiers de Marseille, et des savoirs de ses habitants. « Chacun apporte son petit plus », se réjouit Hachim.

Nordine Ali Said animait en 2019 son propre média consacré au foot. « Du coup, j’ai proposé dès la première année de venir faire des comptes rendus de match sur Instagram », se souvient le journaliste qui commente à présent en duo avec Azir Saïd Mohamed Cheik. Des appareilles photos propriétés de bénévoles font office de caméras, deux sont en tribunes, un plan large, un plan serré, et un téléphone filme en bord de terrain pour une réalisation et une diffusion en direct sur YouTube. « On n’est pas Prime Vidéo », s’amuse Nordine qui court à chaque mi-temps depuis son poste de commentateur jusqu’au bord du terrain faire les interviews de réaction. Mais le rendu a quand même de la gueule. « En vrai la diffusion en direct, c’est d’abord pour ceux qui ne peuvent pas venir, parce qu’ils sont loin, ont quitté Marseille, ou sont en prison », détaille Hachim.

Le Vélodrome et une Hcup de France comme rêve secret

Pour l’heure, toute cette équipe gère l’organisation sur leur temps libre. Nordine descend de Paris tous les week-ends, payant les billets de sa poche. Hicham est chauffeur-livreur. Comme toutes les autres personnes contactées, ils veulent continuer à faire grandir ce tournoi si réjouissant. « On voudrait pouvoir accueillir plus d’équipes, on a pas mal de demandes. En termes de matériel humain, on est bien, mais on manque de moyens et d’infrastructures », embraye Nordine.

Déjà, dès 2021, des ponts sont jetés avec d’autres quartiers de Marseille, du sud notamment avec la venue de La Cayole. « On ne voulait pas que ce soit juste le tournoi des quartiers Nord. Mais tu sais, Marseille, c’est compliqué parfois, surtout entre quartiers. Il y a une forte rivalité et un fort sentiment d’appartenance. Tel quartier ne veut pas participer parce que c’est organisé par un autre », expose Hachim. « On veut intégrer les quartiers du centre aussi, alors il y a Félix Pyat, mais on est aussi en contact avec Vauban [un des quartiers chics de la ville] ». Preuve que l’aïoli prend et que « des liens se créent ».

De quoi penser, déjà, aux éditions suivantes. Avec quelques rêves : jouer la finale au Vélodrome – « en vrai c’est notre délire dès 2020 », admet Hicham – et un jour, faire de la Hcup « une marque » qui verrait chaque grande ville organiser son tournoi inter-quartiers, avant d’envoyer les vainqueurs pour une phase finale.

De quoi exprimer la rivalité entre quartier sur les terrains plutôt que par les armes ? « Ce n’est pas notre rôle. Je ne fais pas ça pour dire : "Les gars arrêtez de vous faire la guerre". Si ça peut, tant mieux. Je le fais parce que je suis un bandeur de ballons amateurs », exprime Hicham. A propos de football amateur, les observateurs auront remarqué que le niveau est plutôt élevé, avec une palanquée de joueurs semi-pros évoluant en CFA ou National, et quelques pros également. Et si se faire du bien aux yeux est toujours à prendre, là n’est pas le but premier. « On fait ça pour les supporters, parce que sans supporters, pas de Hcup », conclut Nordine. Et pour eux, les joueurs mouillent le maillot. Avec l’envie de coudre une première étoile à leur maillot, après celle décrochée par Plan d’Aou, vainqueur 2020, dont les supporters peuvent revendiquer d’être « à jamais les premiers ».

* Emboucaner : faire marcher, manipuler gaiement

* Carré : dans les règles