Présidentielle 2022 : Pour qui vont voter les enseignants au second tour dimanche ?
ELECTIONS•Les enseignants sont assez politisés, souvent peu abstentionnistes, et leur poids électoral est toujours scruté par les prétendants à l’ElyséeDelphine Bancaud
L'essentiel
- Selon une étude du Cevipof *, 48 % des enseignants seraient prêts à voter pour Emmanuel Macron au second tour, et 22 % pour Marine Le Pen.
- La crispation contre Jean-Michel Blanquer ne se cristalliserait donc pas dans les urnes, et le vote barrage contre le RN resterait un réflexe majoritaire chez les enseignants.
- Plus globalement, les résultats électoraux depuis 2017 montrent que les enseignants ne peuvent plus être considérés uniquement comme un bastion de gauche, certains d’entre eux se recentrant ou se droitisant.
Les enseignants sont près de 900.000 en France. Un nombre qui rend leur poids électoral important pour les prétendants à l’Elysée, et qui oblige ces derniers à prévoir des mesures à leur intention dans leur programme. Certaines seront d’ailleurs débattues mercredi soir lors du grand débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
Ce qui aidera peut-être certains à se décider pour l’un ou l’autre candidat. Car si les enseignants sont traditionnellement peu abstentionnistes, ils pourraient l’être davantage lors de ce second tour : « On peut tabler sur une augmentation des votes blancs et nuls qui serait de l’ordre de 30 % chez cet électorat. Sans doute dû au fait que certains enseignants qui avaient voté Macron au second tour de la présidentielle en 2017 ne souhaiteront pas le faire cette fois-là », explique Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS en s’appuyant sur l’enquête électorale * du Cevipof publiée en mars.
Les enseignements du premier tour
Cette enquête dévoile d’autres informations instructives sur le comportement électoral des enseignants : en mars, 55 % d’entre eux avaient l’intention de voter pour un candidat du centre ou de la droite au premier tour (dont 26 % pour Macron et 19 % pour un candidat de la droite radicale) et 45 % pour un candidat de gauche. Et qui fait dire à Luc Rouban que les enseignants ne peuvent plus être considérés uniquement comme un bastion de gauche : « Même s’ils sont plus à gauche que les autres fonctionnaires de catégorie A, on observe chez eux un recentrage, voire une droitisation depuis 2017. Avec une croissance régulière de la droite radicale. »
Un avis que nuance Laurent Frajerman, chercheur au Cerlis Université de Paris Cité et à l'Observatoire de la FSU : « En majorité, les enseignants sont toujours de centre gauche. Mais au premier tour, une partie d’entre eux n’ont pas voulu voter pour Mélenchon, dont ils n’ont pas apprécié les positions sur le vaccin et la sortie "la République, c’est moi"… Certains ont voté pour Macron au premier tour car ils estimaient qu’il y avait un problème d’offre politique », estime-t-il.
Macron arriverait en tête au second tour
Toujours selon la même enquête du Cevipof, les projections pour le second tour indiquent que 48 % des enseignants seraient prêts à voter pour Emmanuel Macron, et 22 % pour Marine Le Pen. « Les intentions du premier tour montraient déjà un vote d’adhésion non négligeable pour le candidat Macron. Au second tour s’ajouteraient les voix du ralliement au candidat LREM pour faire barrage au RN », commente Luc Rouban. Des pronostics de bons scores pour le président qui n’étonnent pas non plus Laurent Frajerman : « Ce vote barrage au RN fait partie de la culture politique des enseignants. »
Par ailleurs, bien que les syndicats enseignants soient très critiques envers la politique éducative portée pendant cinq ans par Jean-Michel Blanquer, certains profs n’y sont pas opposés, selon Luc Rouban : « Le dédoublement des classes en Rep a fait plutôt consensus. Et quelques points du programme du candidat ne déplaisent pas à certains comme la plus grande autonomie des établissements, l’augmentation des profs liés à des missions supplémentaires. Surtout les jeunes profs, dont certains souhaitent une individualisation de la carrière, une reconnaissance de l’investissement… ». De son côté, Laurent Frajerman cite un sondage Ipsos de 2020** qui montre que les réformes éducatives entreprises par ce gouvernement n’ont pas su convaincre et que la gestion du Covid-19 à l’école a beaucoup crispé en interne. Il estime cependant que certains profs n’ont pas été perdants pendant ce quinquennat : « Ceux de Rep + ont reçu des primes supplémentaires, ont bénéficié du dédoublement de certaines classes et d’une meilleure stabilité des équipes ».
Le RN en progression
En parallèle, les projections de vote en faveur de Marine Le Pen sont en hausse par rapport à 2017 : 22 % des enseignants voteraient au second tour pour elle, donc, contre 11 % en 2017. « Sachant que ce vote sera plus important chez les professeurs d’écoles et les enseignants de collège que pour les profs de lycée ou d’université, car leurs conditions de travail ne sont pas homogènes », précise Luc Rouban. De son côté, Laurent Frajerman estime que ce chiffre de 22 % est surestimé : « Le vote d’extrême droite est très faible chez les enseignants, même s’il est vrai qu’il est en partie caché. Car les profs en question craignent d’être mis de côté par leurs collègues ».
Plusieurs facteurs plaident pour une montée du RN chez les enseignants : « Notamment l’autocensure que certains enseignants ont le sentiment de devoir s’imposer par rapport aux questions liées à la religion, surtout depuis la mort de Samuel Paty et le traumatisme qu’elle a causée », explique Luc Rouban. « La stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen a bien fonctionné. Et sa communication sur son souhait d’augmenter les profs a été efficace ». Une chose est sûre : quel que soit le candidat qui obtiendra le plus de suffrages chez les enseignants, « il n'y aura pas d'état de grâce, pour Marine Le Pen par rejet de principe et pour Emmanuel Macron parce que la grève très suivie du 13 janvier dernier a montré les fortes attentes des enseignants », conclut Laurent Frajerman.