Pourquoi ce n’est pas bien grave d’arriver (un peu) en retard
TIC TAC...•A Rennes, le Bureau des temps travaille à une meilleure organisation de notre temps. Ce jeudi, il accueille une conférence autour du retard avec l’autrice Hélène L’Heuillet, qui aime en faire l’élogeCamille Allain
L'essentiel
- Le rapport au temps a été complètement chamboulé par la crise sanitaire, les épisodes de confinement, le télétravail ou les outils numériques.
- A Rennes, un service appelé le Bureau des temps tente d’aider les habitants à optimiser leur temps en adaptant les horaires des équipements.
- Rennes accueille ce jeudi la psychanalyste Hélène L’Heuillet, qui a publié un ouvrage faisant l’éloge du retard. Sans en abuser non plus.
Arriver en retard est souvent mal vu. Preuve d’une mauvaise organisation ? Signe de désinvolture ? Ou même d’un cruel manque de sérieux ? Chacun y verra ce qu’il veut. Parfois, le retard peut aussi asseoir une forme de domination quand on décide sciemment de faire attendre l’autre. Ou que l’on veut montrer qu’on est débordé ou tenter de convaincre que l’on mène une vie bien remplie.
Après deux années de crise sanitaire où la vie s’est parfois arrêtée, la question du temps est devenue centrale dans notre société : télétravail, temps dans les transports, loisirs… Tout notre emploi du temps a été chamboulé. A Rennes, la municipalité fait travailler depuis longtemps un service dont la mission est d’y réfléchir. Ce jeudi, le fameux « Bureau des temps » organise une conférence à Rennes autour d’un thème qui nous concerne tous : « Prendre le temps d’être en retard ».
« Le temps est propre à chacun »
Pour animer cette rencontre, la collectivité a fait appel à la psychanalyste Hélène L’Heuillet. Celle qui enseigne aussi la philosophie à l’université de la Sorbonne, à Paris, se montre parfois critique sur nos rythmes de vie effrénés. « La pression temporelle est de plus en plus intense. On a cette impression que le temps nous échappe, qu’il n’y a plus de vide. A force de courir, on fait trop de choses donc on se retrouve vite en retard. On a créé un rapport capitaliste avec le temps. On l’a intensifié. On a réduit le temps de travail mais certains sont obligés de le bâcler. On traque tous les temps morts, on traque le vide pour le combler. C’est comme une boulimie, un cercle sans fin qui vous mène à l’épuisement ».
En 2020, la psychanalyste a livré un ouvrage intitulé Éloge du retard : où est-il passé. Quelques semaines après sa publication, la France et une bonne partie du monde se sont figées, confinées pour échapper à un virus que l’on connaissait alors si mal. « Il y avait une forme de sidération, comme si le temps s’arrêtait d’un coup. Mais chacun a eu un vécu différent. Les soignants ou les gens travaillant dans l’alimentaire ne l’ont pas vécu de la même manière que certains cadres partis s’isoler à la campagne ». Ceux qui vivaient seuls ont pu tomber dans un gouffre d’ennui. D’autres n’avaient plus une minute de solitude dans un appartement soudain trop petit. « Le temps est propre à chacun », analyse Hélène L’Heuillet.
Pour « mieux vivre » le temps, l’enseignante conseille à chacun de « se donner des intervalles », quitte à faire preuve d’un peu d’égoïsme pour se garder des moments pour soi.
« « Faire l’éloge du retard, ce n’est pas faire comme si les autres n’existaient pas. Je regrette plutôt notre exigence extrême de la ponctualité. Avant, on avait des montres qui avançaient ou qui retardaient. Le numérique nous a rattrapés. Le retard, ce n’est pas de l’irrespect s’il n’est que de quelques minutes pour un rendez-vous », estime-t-elle. »
L’auteure insiste aussi la peur clinique du retard, notamment chez l’enfant. Faut-il s’alarmer si un enfant ne marche pas à l’âge de 2 ans ? « Les parents ont l’obsession du retard de développement. Mais sur quoi se base-t-on ? Sur des statistiques uniquement. Avant de penser à un handicap, réfléchissons à l’échelle d’une vie. Redoubler une classe, c’est considéré comme un retard d’un an. Mais à l’échelle d’une vie, qu’est-ce que cela représente ? ».
Changer les habitudes, c’est compliqué
A Rennes, cela fait vingt ans que le Bureau des temps se penche sur la question de nos rythmes de vie. Sa mission ? Trouver des solutions collectives pour répondre à nos tracas individuels. L’exemple le plus marquant est à trouver du côté du métro. En 2012, le service avait obtenu de l’université Rennes 2 qu’elle échelonne ses heures d’entrée en amphi pour éviter un hyperpic de fréquentation dans le métro chaque matin. « C’est un exemple très parlant. Pour faire face à cette problématique, on a réfléchi à agrandir les rames, à augmenter la fréquence, alors qu’il suffisait d’avoir une approche temporelle », rappelle Iris Bouchonnet.
L’adjointe à la politique des temps aime insister sur « le rôle primordial des collectivités » pour soulager le quotidien des habitants. Notamment par l’adaptation des horaires d’ouverture des services publics comme les bibliothèques ou les piscines. « On doit déculpabiliser les gens dans la gestion de leur temps en proposant des adaptations ». Récemment, la métropole rennaise a lancé une expérimentation autour du « télétravail aux heures de pointe ». Objectif ? Éviter l’encombrement des axes routiers en décalant son heure d’arrivée au bureau. « On remarque qu’il y a de nombreux blocages. Parce que l’on demande aux gens de modifier leurs habitudes. Mais aussi parce que certains nous expliquent que leur arrivée plus tardive est mal vue dans l’entreprise. On doit faire infuser cette approche, l’expliquer », poursuit l’élue communiste.
« Ne pas essayer de calculer au plus juste »
En invitant la psychanalyste Hélène L’Heuillet, la collectivité rennaise espère « ouvrir la discussion » autour du rythme de vie que chacun mène. « Si j’avais un conseil à donner, ce serait de ne pas essayer de calculer au plus juste, de s’offrir une marge sans avoir peur du vide. Se garder un peu de temps pour soi entre deux rendez-vous, sans chercher à tout enchaîner. Si on n’a pas ce temps, on prend le risque d’être sans cesse en retard, de courir après ».
L’enseignante alerte d’ailleurs sur le danger qui guette les personnes les plus débordées : « La sensation de devoir tout bâcler est souvent un facteur de déclenchement du burn-out. C’est là que l’on peut perdre l’estime de soi ». Avec ce désagréable sentiment de ne rien faire correctement. Cher lecteur, si tu es toujours là, prends donc un peu de temps pour y réfléchir.