Guerre en Ukraine : Face au blé et au gaz qui flambent, l’agriculture tremble
PENURIE•Alors que certains observateurs craignent une famine en raison de l’invasion russe, l’agriculture française tente de s’organiser dans un contexte compliquéCamille Allain
L'essentiel
- L'invasion de l'Ukraine par les troupes russes a des conséquences importantes dans toute l'Europe. En plus du prix du carburant, le cours du gaz, des céréales et des engrais pèse sur la profession agricole française.
- En Bretagne, les professionnels s'inquiètent et s'adaptent. Les producteurs de tomates chauffent moins leurs serres cette année.
- Les usines russes et ukrainiennes produisant des engrais sont à l'arrêt et font monter les prix.
L’image a choqué. Samedi, plus de 1.500 tonnes de blé ont été déversées sur les voies ferrées par des activistes qui avaient attaqué un train de marchandises circulant dans le centre Bretagne. Une action censée viser un train de soja et dénoncer les « fermes usines en Bretagne ». Partout, l’image du blé gaspillé sur les voies a fait bondir la classe politique et les syndicats agricoles. Dans les campagnes bretonnes, l’opération coup de poing a visiblement du mal à passer. Car depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, l’agriculture française et européenne sont paniquées. Avec ses chars et ses missiles, la Russie martyrise un peuple. Mais elle fragilise aussi toute la chaîne alimentaire de la planète, mise à mal par la flambée du prix du gaz, du carburant et des céréales. Un conflit armé qui a des répercussions dans toutes les fermes. Et notamment dans la première région agricole française.
Le gaz flambe et les tomates ont froid
Le gaz n’avait pas attendu l’entrée des chars russes en Ukraine pour flamber. Mais depuis l’invasion orchestrée par Vladimir Poutine, le prix s’est littéralement envolé. Dans les campagnes bretonnes, la douloureuse est difficile à encaisser. « Le prix a été multiplié par dix, c’est une folie », témoigne Hervé Conan. Ce maraîcher est installé Paimpol, dans les Côtes d’Armor, où il cultive des choux, des pommes de terre et des courges en plein champ. Mais aussi des tomates, qu’il fait pousser dans des serres chauffées. « Normalement, ça nous coûte 60.000 à 100.000 euros par hectare. Là, on pourrait atteindre le million. C’est impossible ! ».
Dans son entourage, certains ont fait le choix de commencer plus tard, annulant leur commande de plants. « Ils ont quand même payé leurs plants. Mais même en faisant ça, ils étaient gagnants ». Lui a choisi de baisser un peu la température dans ses serres. Mais il sait qu’il prend le risque de voir des maladies (champignons) s’inviter sur ses plantations, notamment en raison de l’humidité. La production sera aussi plus faible. « En chauffant, on limite fortement les traitements (chimiques) », explique-t-il. « Ce qui m’inquiète, c’est sur le long terme. On ne sait pas quelle répercussion on aura sur le prix de vente », glisse Hervé Conan.
Les céréales s’emballent et les animaux ont faim
Si un maraîcher peut baisser la température dans ses serres, les éleveurs ne peuvent pas faire de même avec la nourriture de leurs animaux. Avec l’envolée du prix des céréales, la filière s’inquiète. Si les bovins vont plus aux champs, le problème est énorme pour les porcs élevés hors-sol, dépendant à 100 % des aliments achetés par les éleveurs à leur coopérative. « On a pris + 100 euros à la tonne. On était à 300 euros l’an dernier, ça fait une hausse énorme », explique Didier Lucas, éleveur de porcs à Saint-Alban, près de Lamballe (Côtes d’Armor). Le choc est colossal pour la filière qui voit le coût de revient progresser de 40 centimes par kilo de viande. En ce moment, ce fameux kilo se négocie autour de 1,50 euro au marché du Cadran à Plérin. C’est dire l’importance de la flambée du blé.
D’autant que la profession a connu une année 2021 noire, de nombreux éleveurs accusant des pertes très importantes. « C’est abyssal. Il faut que le prix remonte à plus de deux euros du kilo, sinon… », s’alarme le président de la chambre d’agriculture des Côtes d’Armor.
En Espagne, premier producteur européen de porcs, il resterait « environ un mois de céréales en stock ». Installé dans le Finistère, le président de la chambre régionale d’agriculture André Sergent s’inquiète d’une possible famine mondiale face à la raréfaction de matières comme le blé, le tournesol ou le soja. « Que va-t-il se passer dans quelques mois ? » Premier pays producteur de céréales d’Europe, la France utilise un tiers de sa production (environ 21 millions de tonnes) pour nourrir ses animaux.
Les engrais russes ont vu leur prix grandir
En Bretagne, un autre problème guette l’agriculture conventionnelle. Celle de l’approvisionnement en engrais, dont une bonne partie est fabriquée dans des usines en Russie et en Ukraine. Le conflit armé a déjà fait grimper les prix et fait craindre une pénurie à court terme. D’après nos informations, les engrais auraient déjà vu leur prix être multipliés par trois. Face à cette situation, beaucoup d’exploitants ont décidé de limiter les apports. « On en met moins, parfois juste dans le sillon dans lequel on plante », glisse un maraîcher breton. Lui comme les autres produira sans doute un peu moins cette année.