Guerre en Ukraine : « On est tous amis dans mon magasin ! »… A Lyon, un épicier russe messager de la paix
REPORTAGE•Tandis que des restaurateurs lyonnais ont reçu des menaces de mort, une épicerie russe témoigne du soutien de ses clients, Français comme Européens de l’estJennifer Lesieur
L'essentiel
- Marat Akaev, un Russe installé à Lyon depuis 2005, a ouvert les Délices de la Caspienne en 2009 pour proposer aux Français des produits d’Europe de l’Est.
- Sa clientèle, aussi bien Russe que Ukrainienne, Polonaise et Hongroise, témoigne d’un attachement commun à leur culture, pas à la politique.
- Alors que des restaurateurs russes reçoivent des menaces de mort à Lyon, leurs compatriotes rappellent leur refus du régime de Poutine.
«Poutine est fou ! » Marat Akaev secoue la tête. Le gérant des Délices de la Caspienne, une épicerie d’Europe de l’Est du quartier Garibaldi ( Lyon 3), déteste la politique. « Je suis très loin de ça. Même quand j’étais en Russie, je ne votais pas, parce que les dirigeants n’ont pas de cœur. »
Marat Akaev est né à Makhatchkala, en Russie, au bord de la mer Caspienne. En 2005, le régime de Poutine l’a convaincu de rejoindre sa famille, déjà réfugiée à Lyon, ville qu’il « adore ». Il a ouvert les Délices de la Caspienne en 2009, pour y réunir des produits alimentaires d’Europe de l’Est, qu’ils soient russes, ukrainiens, polonais, hongrois ou même arméniens. Une diversité et un mélange qui se retrouve dans sa clientèle, russophone et très solidaire d'une zone géographique commune.
Contre les menaces, des témoignages de soutien
« On est tous amis dans mon magasin ! » assure Marat Akaev. « Pendant le récent conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, beaucoup de ressortissants de ces deux pays sont venus ici se témoigner leur amitié. Et maintenant qu’il y a la guerre en Ukraine, j’ai des clients russes et ukrainiens qui viennent ensemble, exprès. » Parmi ses employés, il compte des Ukrainiens, « et on s’entend très bien », dit-il sur le ton de l'évidence.
En début de semaine, deux restaurants russes de Lyon, le Roi Alexandre et la Volga, ont reçu des menaces de mort. Les gérants du Roi Alexandre ont porté plainte ce jeudi ; contactés, ils ont indiqué ne plus vouloir s’exprimer sur le sujet. Marat Akaev, lui, a surtout reçu du soutien. « Tous les jours, des gens viennent nous dire qu’ils sont avec nous, ils savent qu’on n’a rien à voir avec cette guerre », dit-il. « Les menaces, je m’en fous, ça ne me fait pas peur. Si les pas contents ont du courage, qu’ils viennent me voir et me dire les choses en face. Qu’ils viennent me dire ce qu’ils me reprochent ! »
Dans la petite épicerie, les clients remplissent leurs paniers de sprats fumés, de cornichons malossol, et d’une impressionnante quantité de bonbons. « Mes clients français viennent surtout pour les bières, la vodka et les œufs de saumon », s’amuse le gérant. Devant la boutique, on décharge des palettes arrivées à temps : « J’ai commandé pour 70.000 euros de marchandise en provenance de Russie et d’Ukraine, pour avoir assez de stock pour 6 mois au moins. »
Des Russes lyonnais farouchement opposés à Poutine
Ioulia, professeur de danse à la retraite, vient souvent au Délices de la Caspienne. Moscovite installée à Lyon depuis 1996, elle est abattue par la guerre en Ukraine. « Je ne peux pas dire que je sois surprise, Poutine prépare ça depuis longtemps, on ne pouvait s’attendre à rien de bon », dit-elle. « Je sais que ce n’est pas… à la mode d’être russe en ce moment », sourit-elle tristement, « mais je n’ai pas honte de mes origines. C’est de Poutine dont j’ai honte ».
Tugan, un chauffeur trentenaire, est reparti avec des saucisses au paprika. Méfiant au premier abord, il a confié être Russe par son père, Biélorusse par sa mère, « et on est tous venus en France à l’arrivée de Poutine parce que c’était la patrie dont rêvaient mes arrière-grands-parents », explique-t-il. « On me regarde un peu de travers en ce moment, mais je ne retournerai jamais là-bas, ce n’est plus mon pays. Je n’ai rien à voir avec ça, je veux juste qu’on vive en paix, mais ce n’est pas nous qui décidons, apparemment », conclut-il, amer.