IVG : Pourquoi le droit à l'avortement est-il encore un sujet aussi sensible ?
FEMMES•Les députés ont définitivement adopté ce mercredi une proposition de loi rallongeant le délai d’interruption volontaire de grossesse, passant à 14 semaines pour avorter contre 12 actuellementC.Poh avec AFP
L'essentiel
- En France, le Parlement a voté ce mercredi la proposition de loi qui prévoit de rallonger de 12 à 14 semaines le délai légal d’interruption volontaire de grossesse. De son côté, la Colombie, pays majoritairement catholique, a dépénalisé ce lundi l’avortement jusqu’à 24 semaines de grossesse.
- Dans les deux cas, il aura fallu des manifestations ou de longs débats démontrant que les « politiques ne sont pas si à l’aise sur le sujet ».
- Pourquoi l’avortement est-il encore un sujet si sensible et politisé ? Explications avec Jacqueline Heinein, professeure émérite de sociologie et Lisa Carayon, maîtresse de conférences spécialiste des droits de la santé.
En France, elle est autorisée depuis le 17 janvier 1975 via la loi Simone Veil et sa durée légale a été ce mercredi allongée de 12 à 14 semaines, après un ultime vote de l’Assemblée nationale. En Pologne, elle est quasiment interdite depuis un an. Et en Colombie, elle est à présent autorisée jusqu’au sixième mois de gestation. L'interruption volontaire de grossesse (IVG) n’est définitivement pas logée à la même enseigne à travers le monde et fait encore débat. Pour y voir plus clair, 20 Minutes a posé trois questions sur l’IVG à Jacqueline Heinein, professeure émérite de sociologie (université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) et à Lisa Carayon, maîtresse de conférences spécialiste des droits de la santé (université Sorbonne Paris Nord).
Où en est-on des droits en faveur de l’IVG dans le monde ?
« Si on veut être optimiste, on peut dire que ça avance, ironise Lisa Carayon. Ou plutôt, on note que même dans les pays où le droit en faveur de l’IVG recule, les mouvements d’oppositions sont de plus en plus présents. » Depuis quelques années, on constate en effet que les législations s’assouplissent dans de nombreux pays comme le Bénin, l’ Argentine ou plus récemment encore la Colombie qui a dépénalisé ce lundi l’IVG jusqu’à 24 semaines de grossesse.
Mais selon Jacqueline Heinein, sociologue spécialisée dans la question du droit des femmes depuis plusieurs décennies, on est encore loin du compte. « Ce qui me frappe, ce sont tous ces pays qui régressent », explique-t-elle. « La Chine par exemple, qui, pour des raisons démographiques, empêche les femmes d’avorter. Ou encore la Russie où de nombreux médecins découragent les femmes d’avoir recours à l’IVG », précise la sociologue. Pour Jacqueline Heinein, nul besoin de traverser le globe pour trouver des pays qui stagnent en matière de droit à l’IVG : « En Italie, alors que la loi n’a pas bougé depuis des années, près de 70 % des médecins gynécologues sont objecteurs à la pratique. »
Pourquoi l’avortement est-il encore un sujet aussi sensible ?
« A mon sens, c’est épidermique pour trois raisons, explique Lisa Carayon. Soit la question relative à la vie, qui nous touche par essence. » En d’autres termes, à quel moment protège-t-on cette vie ? Un sujet qui revêt souvent une connotation religieuse et qui explique pourquoi, dans les pays les plus pieux, les droits à l’IVG sont les plus faibles. « Puis, la question de la reproduction et la force de ce travail reproductif », ajoute la spécialiste. On touche ici plutôt à une facette d’ordre démographique et donc politique. « Et puis, évidemment, la question du contrôle du corps des femmes et des femmes en général », conclut Lisa Carayon.
Selon Jacqueline Heinein, il reste important de tempérer la notion de refus social de l’IVG. « Sur le plan sociétal, je ne pense pas que ce soit un sujet aussi épineux que cela, explique la sociologue. Prenez le cas des Etats-Unis. Une large partie de la population est favorable à l’avortement, pourtant la moitié des Etats est déjà revenue en arrière. » Selon l’experte interrogée par 20 Minutes, les difficultés que rencontrent les droits à l’IVG ne viennent pas franchement du peuple mais plutôt des courants religieux et, in fine, des pouvoirs publics.
En France, quelle est la place des droits à l’IVG dans la politique ?
« En France, le sujet n’est plus vraiment politisé. D’ailleurs, aucun candidat n’en fait un point central de sa campagne », nuance Lisa Carayon. Plus que l’interruption volontaire de grossesse, ces dernières années, c’est plutôt la procréation médicalement assistée (PMA) qui a pris de l’espace dans le débat politique. Mais alors pourquoi la question de l’IVG ne s’impose-t-elle pas plus dans les programmes des candidats français ? « Je pense que cela vient du fait qu’on considère qu’il est un droit acquis depuis longtemps dans notre pays, explique Lisa Carayon. Pourtant, on note la difficulté avec laquelle on tente de faire passer le délai légal de l'IVG de 12 à 14 semaines. Nos politiques ne sont pas si à l’aise sur le sujet. »
Lisa Carayon affirme également que la France a régressé en matière d’avortement avec la loi bioéthique du 2 août 2021. « L’article L. 2213-1 de cette loi vient encadrer la technique dite de "réduction embryonnaire" ou "interruption de grossesse partielle". » En d’autres termes, depuis le 2 août dernier, en cas de grossesse multiple, il ne sera plus possible, même avant les 12 semaines légales, d’avorter d’un des fœtus.
Notre dossier sur l'IVG
« Sans que personne ne s’en préoccupe, le droit français a ainsi connu son premier recul textuel du droit à l’avortement », alerte la spécialiste des droits de la santé.