Marseille : C’est quoi cette « stratégie de pilonnage » des trafics de stup ?
TRAFIC DE DROGUE•Face aux règlements de compte à Marseille, la préfète de police des Bouches-du-Rhône défend sa stratégie de « pilonnage » des trafics de stupéfiants
Mathilde Ceilles
Cela fait un an que cette stratégie dite nouvelle a été mise en œuvre par la préfecture de police des Bouches-du-Rhône. Ce mardi, lors d’un point presse, Frédérique Camilleri a dressé un premier bilan du « pilonnage » des points de deal à Marseille, nouveau mantra des autorités pour lutter contre le trafic de stupéfiants dans la cité phocéenne, à l’origine de 16 règlements de comptes en 2021 dans la deuxième ville de France. Qu’est-ce que c’est ? Quels sont ses effets ? 20 Minutes fait le point.
C’est quoi cette stratégie de « pilonnage » ?
Depuis l’arrivée de Frédérique Camilleri à la tête de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône, les forces de l’ordre ont reçu pour consigne de s’attaquer régulièrement au trafic dit visible, sur la voie publique, dans les cités marseillaises. Le tout afin de déstabiliser les réseaux qui tiennent les 150 réseaux qu’abrite la cité phocéenne. « Il s’agit de débarrasser l’espace public des points de deals des trafiquants, affirme Frédérique Camilleri. La stratégie de pilonnage consiste à taper de façon massive et répétée sur les endroits les plus problématiques pour effriter les points de deals et les réseaux de trafiquant. »
Les forces de l’ordre interviennent quotidiennement dans les cités accompagnées d’unités de CRS, à raison de trois à six opérations quotidiennes de deux heures, au cours desquelles ils procèdent à des interpellations et des saisies de marchandise. « Les CRS, j’aurais pu les employer à faire de la sécurisation de centre-ville, assume Frédérique Camilleri. J’aurais pu les employer encore plus massivement au maintien de l’ordre. Je fais parfois le choix de gérer des manifestations que je pense pacifique avec des moyens locaux de la DDSP pour préserver les CRS pour qu’ils aillent dans les cités. »
Et d’ajouter : « Les opérations de pilonnage sont souvent associées à des opérations de rétablissement du cadre de vie. Ces opérations ont permis d’enlever en un an 1.000 tonnes d’encombrants qui servent souvent de barricades, soit dans les cages d’escalier, soit à l’entrée des cités. Cela a permis d’enlever également 1.000 véhicules épaves qui servent de cache aux trafiquants, et d’effacer 1.300 m² de tags étant des incitations à consommer ou des panneaux indicateurs de points de deal. »
Est-ce efficace ?
« Cette stratégie de pilonnage marche très bien pour les points de deals de petite et de moyenne intensité, qui ont disparu ou presque comme à la Soude », affirme la préfète de police. L’effet sur les points de deal les plus florissants, et donc, souvent, ceux qui suscitent le plus de convoitises et de règlements de compte, n’est toutefois pas aussi radical. Ainsi, selon la préfète de police, le pilonnage du réseau de Campagne-Lévêque, dans le 15e arrondissement, a eu pour effet de ralentir l’activité de ce point de stup, dont le chiffre d’affaires est passé de 50.000 euros journaliers à 8.000 euros.
« La division nord de Marseille a saisi en un million d’euros et une tonne de résine de cannabis uniquement grâce à ces petites opérations du quotidien, » fait valoir Frédérique Camilleri. Une manière également de créer des pertes sèches au sein des réseaux. La préfète de police met également en exergue les effets statistiques de cette stratégie, avec, par exemple, 1.273 affaires de trafic de stupéfiants réalisées par la direction départementale de la sécurité publique à Marseille en 2021, soit un chiffre en hausse de 60 % par rapport à 2019.
Impossible toutefois de savoir si ces interpellations sont suivies de condamnations rapides par le parquet de Marseille. Interrogée sur ce sujet, la préfète de police botte en touche. Lors d’un récent point presse, le parquet de Marseille faisait état d’un « profond malaise lié à l’insuffisance structurelle de ses moyens. » Récemment, une audience pour une affaire de trafic de stupéfiants qui devait se tenir devant le tribunal de Marseille, a été annulée, au motif qu’elle était jugée quinze ans après le début de l’enquête.
Quid des têtes de réseau ?
Les personnes interpellées lors de ces opérations de pilonnages dites « par le bas » touchent presque exclusivement les petites mains du réseau, notamment les guetteurs, recrutés de plus en plus sur les réseaux sociaux dans toute la France, de Saint-Etienne à Clermont-Ferrand, et soumis à un fort turn-over, du propre aveu des autorités. Reste à mettre la main sur les patrons de réseau, qui souvent, vivent à l’étranger.
« On a essayé, cette année, de mener de manière beaucoup plus accentuée la recherche vers des cibles prioritaires de narcotrafiquants », clame Eric Arella, directeur territorial de la police judiciaire de Marseille. Ainsi, en 2021, sept personnes, soupçonnées d’être à la tête de plusieurs points de stup marseillais ont été interpellées à Dubaï, au Maroc ou encore en Colombie.