Coronavirus : « On ne fait pas la grève contre le virus, mais contre Blanquer », déclarent les manifestants
REPORTAGE•Plusieurs milliers d’enseignants ont défilé à Paris jeudi, jour de grève dans l’Éducation nationale pour protester contre la valse des protocoles sanitairesDelphine Bancaud
L'essentiel
- Près de 38,5 % des enseignants étaient en grève dans les écoles, selon le ministère de l’Education, tandis que le SNUipp, premier syndicat du primaire, a annoncé 75 % de grévistes. Dans les collèges et lycées, le chiffre a été de 23,7 % selon le ministère, et de 62 % pour le Snes-FSU, premier syndicat du second degré.
- Dans les cortèges, la colère semble se cristalliser autour du ministre de l’Education, comme en attestent les banderoles.
- Le Premier ministre Jean Castex recevait les organisations syndicales en fin d’après-midi.
Ils avaient prédit une journée noire dans l’Education nationale et ils ont mis leurs menaces à exécution. Les enseignants, CPE, directeurs d’école, principaux, proviseurs, Aesh (accompagnants d’élève en situation de handicap) sont nombreux à se masser place Edmond-Rostand à Paris, malgré le froid. Le ministère ayant annoncé le matin même que 38,5 % des enseignants étaient en grève dans le primaire tandis que le SNUipp-FSU, premier syndicat du primaire, annonçait 75 % de grévistes. Dans les collèges et lycées, 23,7 % des enseignants sont mobilisés, selon le ministère, tandis que le Snes-FSU, premier syndicat du second degré, annonçait 62 % de grévistes. Au total, selon l’Intérieur, près de 78.000 personnes défilent en France, dont plus de 8.000 dans la capitale.
Ils sont venus crier leur exaspération face à la valse des protocoles sanitaires, certes, mais leur colère semble se cristalliser autour du ministre de l’Education, comme en attestent les banderoles. « Blanquer, école de misère », « Blanquer, le virus c’est toi », « Blanquer démission ». Certaines récentes sorties médiatiques du ministre sont mal passées, comme en témoignent quelques pancartes : « On ne fait pas la grève contre le virus, mais contre Blanquer », peut-on ainsi lire.
« Je manifeste contre les mensonges de mon ministre »
Les manifestants s’élancent sur le bitume et remontent le boulevard Saint-Michel en direction du ministère de l’Education. Certains sont venus avec leurs enfants, d’autres avec leurs collègues. Guillemette, enseignante dans un collège de Villeneuve Saint-Georges (Val-de-Marne) a même fabriqué une poupée à l’effigie du ministre, coiffée d’un virus : « C’est le summum du mépris. Il a fallu deux ans pour commander des masques chirurgicaux alors qu’on a des personnels au contact permanent des élèves. On a été les seuls à être confinés dans des salles de classe non aérées à 35 », déclare-t-elle.
Venue avec sa maman, enseignante retraitée, Pauline, prof d’histoire-géo à Corbeil-Essonnes (Essonne), brandit une pancarte où l’on peut lire : « Quand Blanquer passe, l’école trépasse ». « Je manifeste contre les mensonges de mon ministre. Qui a dit que des hackers russes avaient cassé nos ENT (espaces numériques de travail) lors du premier confinement, qui soutient devant les députés qu’il a envoyé le protocole sanitaire aux enseignants avant de le dévoiler dans la presse, qui a dit qu’il ne fermerait pas les écoles juste avant le premier confinement… On ne lui fait plus confiance et l’opinion publique non plus », fustige-t-elle.
« Les 5 années que je viens de vivre ont été les plus dures de ma carrière »
Dans les rangs des manifestants, on peste contre le non-remplacement des enseignants malades, la difficulté à faire classe tout en envoyant du travail aux élèves absents, le manque de matériels utiles contre le virus (masques FFP2, capteurs de CO2..), la surcharge de travail qu’implique la gestion des cas contacts…
Jérôme, prof de SVT au collège, critique lui aussi la gestion de la crise sanitaire à l’école du ministre : « Les mesures qu’il annonce semblent improvisées et en total décalage avec ce qui se passe sur le terrain ». Et le bilan qu’il fait de l’action du ministre n’est pas glorieux : « C’est un bon petit soldat qui applique une politique libérale de l’éducation et qui mène à une école à deux vitesses. Les 5 années que je viens de vivre ont été les plus dures de ma carrière », confie-t-il. « C’est le ministre de l’Education qui a la plus grande longévité. On n’a pas dû crier assez fort ces dernières années pour qu’il parte », lance aussi Stéphanie, professeur des écoles à Paris.
« Il y a un point de rupture avec Jean-Michel Blanquer »
Dans les rangs des leaders syndicaux, le discours est à peine plus policé. « Le ministre n’est plus audible. Il n’y a plus aucune chance qu’il récupère du crédit chez les enseignants. D’ailleurs, certains sont en grève aujourd’hui alors qu’ils ne le sont jamais d’habitude », lance Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa. Un peu plus loin dans le cortège, Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp, n’est pas plus tendre à l’égard du locataire de la rue de Grenelle : « Il y a un point de rupture avec Jean-Michel Blanquer. Il faut qu’il arrête de marteler que les écoles doivent rester ouvertes, sans les sécuriser. Il est désormais très isolé au gouvernement car il campe sur ses positions. D’ailleurs, c’est le Premier ministre qui a repris le dossier de la gestion du Covid-19 dans les écoles ».
Seul Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-UNSA qui représente les personnels de direction, tente de dépersonnaliser le débat : « Nous ne sommes pas sur une logique individuelle, mais nous voulons juste signifier que ces changements incessants de protocole ne passent plus. D’ailleurs, 30 % de nos adhérents sont en grève aujourd’hui », annonce-t-il. Une alerte s’affiche sur les portables des manifestants. Le Premier ministre Jean Castex recevra les organisations syndicales en fin d’après-midi, en présence du ministre de l’Education, mais aussi de celui de la Santé, Olivier Véran (testé positif, qui sera connecté en visioconférence). Le signe d’un désaveu pour Jean-Michel Blanquer ?