MENACESSur fond de Covid, des élus racontent la violence dont ils sont victimes

Pass sanitaire : « J’en suis à une vingtaine de signalements... » Les menaces et les violences envers les élus montent d'un cran

MENACESMenaces de mort, dégradations, agressions physiques… Depuis 2020, les attaques visant des élus se multiplient
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Entre janvier et octobre 2021, 1.255 faits – menaces, dégradations, agressions… – ont été signalés par des élus.
  • S’ils sont encouragés à faire remonter les faits dont ils sont victimes, la politique sanitaire du gouvernement face au Covid-19 a créé un regain de violences à leur égard.
  • Jean Castex a dénoncé mardi des « violences inacceptables ».

C’était il y a à peine un mois, le 9 décembre précisément, à Ledeuix, petit village béarnais de 1.100 âmes. Ce jour-là, Bernard Aurisset, le maire (sans étiquette), se rend devant l’école primaire​ pour assister à une opération de dépistage des enfants avant un voyage scolaire. Mais à peine arrivé, l’élu, la soixantaine, est violemment pris à partie par un de ses administrés. Les deux hommes se connaissent, ont déjà eu des démêlés. L’édile, qui reproche notamment au père de famille des incivilités et des rodéos dans les rues du village, a fini par faire un signalement au procureur de la République et une enquête a été ouverte en septembre.

« Dès qu’il m’aperçoit, il commence à m’insulter devant tous les enfants, puis il me bouscule, se remémore l’édile. J’aurai peut-être dû tourner les talons mais je suis quelqu’un de vif, c’est pas dans mon tempérament. » Les coups partent, le maire a l’arcade sourcilière ouverte et écope de 7 jours d’interruption totale de travail. Jugé en comparution immédiate, son agresseur a été condamné à six mois de prison dont trois ferme, aménageable. « C’est mon second mandat, poursuit l’édile, et je sens vraiment une différence, c’est plus dur. Là, c’était extrême, mais les gens sont plus agressifs, on a parfois l’impression d’être des punching-balls. Avec mes collègues des villages autour, on fait tous le même constat. »

Une forte augmentation des signalements depuis 2019

Et les chiffres confirment son pressentiment. Selon le ministère de l’Intérieur, en parallèle de l'épidémie de Covid-19, les menaces, agressions physiques ou verbales, dégradations envers les élus ont augmenté de 200 % entre 2019 et 2020. On dénombrait ainsi l’an dernier 1.276 faits, dont 500 agressions physiques. Et si le décompte 2021 n’est pas encore finalisé, il s’inscrit dans la même tendance : entre janvier et octobre, 1.255 faits ont été signalés, dont 128 à Paris et en petite couronne. « Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, estime Alexandre Touzet, délégué à la sécurité au conseil départemental de l’Essonne. Beaucoup d’élus estiment que les insultes, les menaces ou les outrages font partie des risques du mandat et ne les signalent pas. »

Si désormais, les élus sont encouragés à faire systématiquement des signalements au moindre fait – une référente chargée d’aiguiller a même été nommée en novembre à l’Assemblée – la politique sanitaire semble avoir attisé la situation. Depuis le mois de juin, le ministère de l’Intérieur a constaté une hausse de 80 % des agressions et menaces contre les élus. En juillet, lors des débats sur l’instauration du pass sanitaire, les faits recensés sont passés d’environ 80 par mois à 191. Et depuis décembre avec l’annonce du pass vaccinal, le recensement des menaces et agressions prend des airs de sinistre inventaire à la Prévert.

Fin décembre, le garage du député LREM de l’Oise, Pascal Blois, a été incendié, les murs de son domicile tagués : « votez non », « ça va péter ». Dans le même temps, plusieurs de ses homologues ont été menacées. « Vous ne méritez que des rafales de balles à votre domicile », a ainsi reçu la députée Horizon du Val-d’Oise, Naïma Moutchou. Son homologue de Seine-Maritime a découvert peu ou prou le même message : « Je ne pense qu’à une seule chose : venir te décapiter », débute l’e-mail.

Une vingtaine de signalements depuis l’été

« Pendant la crise des "gilets jaunes", on a pu avoir des accrochages ou des débats houleux avec certains mais cela n’avait rien à voir, assure Ludovic Mendes, député LREM de Moselle. On était interpellé sur Facebook, on pouvait dialoguer. Là, ce sont des messages envoyés avec de fausses adresses mails, qui passent par des VPN, c’est beaucoup plus travaillé. » Lui a reçu les premières menaces – meurtre, décapitation, faire exploser sa permanence – cet été. Depuis, cela ne s’est jamais arrêté. Si au début, il ne portait pas plainte, il fait désormais systématiquement un signalement au procureur. « J’en suis à une vingtaine… », déplore-t-il. S’il affirme que ces messages n’ont pas d’incidence sur son travail parlementaire, il reconnaît qu’ils instaurent malgré tout un sentiment d’insécurité. « Si je suis le soir dans une rue et que j’ai l’impression qu’on me suit ou si on me dévisage, je suis plus inquiet », confie-t-il.

Le sujet est pris très au sérieux par le gouvernement. Mardi, le Premier ministre a dénoncé des « violences inacceptables » et affirmé qu’il n’y avait « pas d’autre voie que la répression face à ces actes ignobles. » Le 9 novembre, déjà, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a fait parvenir un télégramme aux préfets leur demandant une surveillance accrue des permanences et des domiciles des parlementaires. Dans ce même courrier, il est également demandé aux gendarmes et policiers d’accompagner « avec soin » les élus qui déposent plainte et une surveillance accrue sur les réseaux sociaux. Mais l’entrée à venir du pass vaccinal et la campagne ne devraient pas apaiser de sitôt les tensions.