MINEURSLes Français vont-ils perdre l’accès à cinq sites pornos en 2022 ?

Pornhub, xHamster et trois autres sites pornos ultra-consultés par les Français vont-ils être bloqués ?

MINEURSLe Conseil supérieur de l’audiovisuel a mis en demeure cinq sites pornographiques pour les obliger à vérifier l’âge de leurs utilisateurs
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Pornhub, xHamster, Xvideos, Xnxx, les quatre sites pornographiques les plus consultés de France, ainsi que Tukif.com ont été mis en demeure, il y a quinze jours, par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
  • Le CSA leur reproche de ne pas assez verrouiller l’accès de leurs contenus aux mineurs et les menace de blocage en France.
  • Une menace sérieuse qui pourrait prendre effet dès le 28 décembre et qui devrait, l’avocat du numérique Alexandre Archambault, être difficile à mettre en œuvre.

EDIT du 28 décembre 2021 : Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a enjoint à cinq sites pornos de couper leur accès aux mineurs. Sans mise en place d'un dispositif fiable, Pornhub, xHamster, Xvideos, Xnxx et Tukif risquent l'écran noir. Dès ce mardi, le CSA peut saisir le tribunal judiciaire de Paris afin de demander le blocage de l'accès à ces sites. L'occasion de vous donner à relire ce papier datant du 14 décembre expliquant que, si des solutions de vérification d'identité existent, elles posent des questions en matière de protection des données personnelles.

Pornhub, xHamster, Xvideos, Xnxx et Tukif. Ces cinq sites pornographiques phares [les quatre premiers figurent parmi les 25 sites les plus consultés en France] sont menacés d’un blocage total de leur accès en France par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). L'instance de régulation leur demande de mieux verrouiller l’accès à leurs contenus aux mineurs et ce, dans des mises en demeure publiées lundi. Alors les Françaises et les Français vont-ils commencer 2022 sans ces sites qui cumulaient, en 2020 et en moyenne, 130 millions de visites par jour à l’échelle mondiale ? 20 Minutes fait le point.

Que reproche le CSA à Pornhub et compagnie ?

Le Code pénal interdit d’exposer les mineurs à des photos et à des vidéos pornographiques. De plus, la loi sur les violences conjugales datant du 30 juillet 2020 stipule que simplement demander au visiteur d'un site pornographique s'il est majeur, comme le font tous les sites visés par le CSA, ne peut être considéré comme suffisant. L'instance de régulation exige donc de Pornhub et de ses alliés (ou concurrents) qu'ils verrouillent largement mieux l’accès à leurs contenus aux mineurs. Et de leur poser un ultimatum : en cas de non-respect de cette obligation d'ici à quinze jours, le CSA a fait savoir qu’il saisirait le tribunal judiciaire de Paris. Ce sera alors à la justice d’ordonner ou non aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer l’accès aux sites incriminés sur l’ensemble du territoire français.

En octobre déjà, deux associations de protection de l’enfance, e-Enfance et la Voix de l’enfant, avaient saisi le tribunal pour obliger six fournisseurs français d’accès à Internet à bloquer des sites pornographiques pour les mêmes motifs [la facilité d’accès pour les mineurs]. Une demande refusée par le tribunal, considérant que l’objectif de protéger les enfants de la pornographie en ligne, aussi légitime soit-il , n’autorisait pas de s’affranchir des conditions posées par la loi pour obtenir une décision de blocage, rappelle l’avocat du numérique Alexandre Archambault. Autrement dit, le respect de la vie privée.

Si demander l'âge ne suffit pas, quelles sont les autres solutions ?

Il est difficile de vérifier l’identité d’un internaute, « sauf à rentrer dans des dispositifs très intrusifs, comme demander la carte d’identité, ce que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) interdit formellement », prévient l’avocat. Une autre technique pourrait être de demander une transaction financière à zéro euro, nécessitant donc une carte bancaire. Le problème, en plus du côté toujours intrusif, est qu’il est possible, en France, d’avoir une carte bancaire même en étant mineur, ce qui compromet l’objectif – même si la mesure permettait déjà de limiter l’accès. Conséquence de ces solutions loin d’être parfaites, « certains sites pornographiques expriment déjà l’impossibilité technique de mieux contrôler l’accès aux mineurs malgré leur bonne volonté », conclut Alexandre Archambault. L'argument avait déjà été brandi en octobre dernier et il pourrait l'être à nouveau afin d'empêcher le blocage de Pornhub ou de xHamster. Sachant que le même problème technique se pose dans le cas des sites de jeux en ligne.

Une autre solution évoquée serait d’imposer le contrôle parental, mais elle se heurte à deux limites : premièrement, « les intermédiaires techniques ne peuvent surveiller ce que font leurs utilisateurs », rappelle Alexandre Archambault. En gros, ils ne peuvent pas imposer ledit contrôle parental, au nom de la libre circulation sur Internet. Obstacle supplémentaire : ces sites ne sont pas hébergés en France, ce qui limite là aussi le pouvoir d’action. Pornhub et xHamster sont basés à Chypre, Xvideos et XNXX en République tchèque et Tukif, au Portugal. Et comme la règle ne concernerait que la France, elle obligerait, par exemple, Apple à configurer ses Iphones différemment pour l'Hexagone que pour le reste du monde. Ce que le géant à la pomme risque de ne pas apprécier. « Toute politique purement nationale contribue non seulement à fragmenter le droit européen mais n’a également que peu de chance d’aboutir. Il faut une cohérence à l’échelle de l’Europe pour peser sur une industrie aussi forte », plaide Alexandre Archambault.

En perdant les mineurs, les sites pornos perdent-ils gros ?

Côté porte-monnaie, l’ultimatum du CSA a là-aussi peu de poids. Les « visites » des mineurs ne rapporte pas grand-chose aux sites ciblés. « La publicité y est quasiment inexistante. L’Oréal ou Nike, par exemple, ne voudront jamais y figurer, question d’image de marque », indique François Levêque, professeur d’économie à Mines-ParisTech et spécialiste de l’économie de la pornographie.

De plus, les revenus de Pornhub et compagnie proviennent de deux sources principales : les abonnements payants et les publicités renvoyant uniquement vers d’autres sites pornographiques. Là aussi payants. Or, les mineurs, à de très rares exceptions, ont une consommation gratuite de la pornographie : ils ne s’abonnent pas aux sites gratuits et évitent les sites payants. Voir les moins de 18 ans être potentiellement interdits de sites pornos « ne changerait donc pas grand-chose, voire quasiment rien, aux recettes de ces plateformes. Elles gagneraient simplement une image plus noble sans conséquences financières importantes », appuie le professeur.


Notre dossier sur le porno

Si tous les camps semblent s’entendre, le problème demeure : comment mettre en place cette interdiction ? Comment bloquer l’accès de ces sites en France, seulement ? Faute de solution, les Français et les Françaises, mineurs comme majeurs, devraient donc avoir accès aux sites pornographiques en 2022.